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TOUJOURS MINEURS – L’affaire Slāv et les soi-disant progressistes

 

Lamberto Tassinari

À peine trois représentations du spectacle Slāv on suffit à Montréal pour déchainer contre Betty Bonifassi et Robert Lepage une centaine de manifestants avec pancartes et démarrer un grand bouillonnement médiatique. Comme je ne fréquente pas les médias (a)sociaux je n’ai rien vu hormis un petit article dans Le Journal de Montréal et surtout la prise de position d’un certain Michel Lessard de Lévis, qui a publié dans Le Devoir un texte intitulé « Robert Lepage s’est trompé » dans lequel il déplore le geste de deux auteurs.

Blanche

Le 6 juillet, au lendemain de l’annulation du spectacle par le Festival International de Jazz de Montréal, arrive la sobre réplique de Lepage qui préfère ne pas affronter l’analyse de la notion d’appropriation culturelle qu’il considère trop complexe, se limitant à dire, en acteur, que la pratique théâtrale repose sur un « principe bien simple : jouer à être quelqu’un d’autre. Jouer à l’autre. Se glisser dans la peau de l’autre afin d’essayer de le comprendre et, par le fait même, peut-être aussi se comprendre soi-même. »

Noire

Je trouve cela juste et suffisant, injuste et défaillante la position de tous ceux qui condamnent Lepage en l’accusant du crime d’appropriation culturelle. Le lendemain, 7 juillet, une salve de textes est lancée depuis Le Devoir dont le plus remarquable a été « Les leçons de l’affaire Slāv » de Patrick Moreau, immigrant français qui enseigne la littérature au cégep d’Ahuntsic. Cet article a été immédiatement saisi par Robert Daudelin, ancien directeur de la Cinémathèque québécoise qui, avec l’accord de Moreau, l’a fait circuler en proposant de le cosigner. Le débat que le Festival du Jazz n’avait pas voulu lancer est en train heureusement de se produire dans les pages du Devoir et il aura probablement une suite ailleurs.

En attendant ce débat, une question se pose : que signifie au juste l’« appropriation culturelle » ?

D’après Wikipédia : C’« est un concept né aux États-Unis selon lequel l’adoption ou l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une culture ‘dominante’ serait irrespectueuse et constituerait une forme d’oppression et de spoliation. » De toute évidence, l’application de ce principe constitue la revanche des cultures, des groupes, des identités faibles, une espèce de retour du balancier. Le système dominant, le pouvoir majoritaire un peu partout dans le monde mais de façon prépondérante aux États-Unis et au Canada, aurait accordé gratuitement, c’est-à-dire non pas à la suite d’une sanglante lutte de classe, aux « cultures faibles » la pleine liberté et une totale autorité sur la gestion de leur propre image. Après des siècles d’injustice, de répression et d’oppression, féministes, communautés LGBT, peuples autochtones et minorités de tout genre ont été déclarés maîtres chez eux ! Quel triomphe et quelle générosité de la part du pouvoir ! Mais est-il possible que ce cadeau tombe, comme le fromage de la fable, de la bouche des puissants dans celle des faibles ?

Blanche

Il faudrait toujours que les faibles doutent des concessions gratuites. Mais non, encore une fois aveuglés par le désir de vengeance, ils ne se rendent pas compte de la ruse du pouvoir. Et pourtant, ils devraient bien comprendre que les cultures « fortes » sont capables d’accepter le regard critique des autres cultures. Ce n’est pas aux seuls Russes, par exemple, d’avoir le droit de s’occuper de la révolution d’Octobre : une foule d’historiens, d’écrivains et d’artistes de toute origine « ethnique » s’est penchée sur ces événements qui appartiennent à l’humanité entière. Ce n’est pas aux seuls Italiens de s’occuper de Renaissance ou de mafia ! Alors, pourquoi des artistes blancs ne devraient-ils pas pouvoir mettre en scène et chanter les chansons des esclaves noirs d’il y a deux siècles ? En se méfiant du regard et de la solidarité authentiques des autres, les cultures faibles et leurs avocats souteneurs de l’application totalitaire du concept d’appropriation culturelle ne s’aperçoivent pas qu’ils nuisent à leur cause car, par leur attaque, ils ne font que renforcer leur condition de culture mineure. Le cadeau de la culture dominante n’est pas si innocent.

Noire

 

Au lieu de se lever contre les Lepage et les Bonifassi généreux de ce monde, les gauchistes myopes de chez nous, devraient se révolter contre la ruse du pouvoir qui réussit à leur faire confirmer leur propre infériorité. Ils auraient dû comprendre que Slāv (je ne l’ai pas vu, comme tout le monde…) ne dicte pas une interprétation de l’histoire de l’esclavage des Noirs, qu’il ne l’altère pas, mais la célèbre en la mettant en scène avec sensibilité et respect.

Regards croisés plutôt, laissez-vous regarder par les autres et faites de même ! L’alternative étant que chaque maudit groupe « ethnique », à commencer par les Britanniques et les Français, écrive lui-même sa propre histoire, s’auto-célèbre, soit le seul et unique interprète de sa merveilleuse identité. C’est cela qu’on veut ?

How the Vice conquered me

Karim Moutarrif

I remember it was in the Nineties. Juste à un moment où le monolinguisme commençait à m’étouffer. Je sortais déconfit d’une thèse de Phd où je ne comprenais pas pourquoi la terminologie de l’anthropologie raciste, la vraie, celle du XIXe et des colonies où les blancs partaient civiliser les autres infras de la planète, continuait de régir les classifications des différents ressortissants de la Terre, atterris au gré des crises, en Amérique du Nord, au  Canada ou aux États-Unis. Je ne comprenais pas pourquoi on arrivait avec un passeport et une nationalité, dans deux pays qui adhèrent aux ‘nations’ unies et on se faisait ré-identifier dans une appartenance à une ethnie, à une « minorité visible », on parlait de race blanche caucasienne.

Anarchie 3

J’étais perdu devant le conformisme de masse des chercheurs! Et pour cause, la guerre de sécession a laissé les USA exsangues et en retard pour leur révolution industrielle. La Grande Bretagne avait lancé le bal dès 1830 et la France suivit, une vingtaine d’années plus tard. C’est la Prusse qui fut retenue avec l’envoi de près de 10000 étudiants, qui furent formés en langue allemande. En même temps qu’ils prirent l’ingénierie, ils raflèrent la pseudo science nommée anthropologie raciste, ce qui leur permettait de régler le sort de ce qu’ils appellent les Premières Nations et celui des Africains. Les sciences humaines nord-américaines ont été bâties sur ces préceptes là. La catégorisation raciste persiste dans le modèle statistique   au Canada comme aux États-Unis, elle transpire dans le langage des fonctionnaires. Dans le quotidien, sur les journaux il est constamment fait référence à la race.

Photo: Timothy Tassinari
Photo: Timothy Tassinari

Quelqu’un m’a donné un coup de pouce sans le savoir. Dans un texte qu’il a publié dans la Revue Internationale d’action communautaire, un certain Lamberto Tassinari  disait que le mot race avait été remplacé par le mot ethnie dans le traitement de l’altérité. Pour la première fois, je lisais quelque chose qui était dit d’une franchise déconcertante et qui convergeait avec ma pensée.

Quelques années plus tard, j’eus la charge d’une étude sur la «communauté » italienne de l’ile de Montréal. Parmi les personnes à rencontrer, il y avait les responsables des journaux et magazines italiens. Sur la liste figurait, à tort,  Vice Versa que je m’empressais de visiter pour  enfin rencontrer l’inconnu qui m’avait stimulé dans ma recherche.

Le bureau était alors dans un immeuble étrangement nommé Balfour, sur la rue Saint-Laurent, au coin de la rue Prince Arthur à Montréal.

C’était deux pièces en enfilade, au deuxième ou troisième étage. Dans la première, aveugle, il y avait deux bureaux. Dans celle du fond, il y avait une fenêtre sur toute la largeur. Près de celle-ci se tenait le bureau du boss. Le long du mur de droite, il y avait un autre bureau. Enfin, au milieu, une table servait aux réunions d’équipe. Je me souviens aussi d’un alignement d’horloges qui donnaient l’heure sur différents continents, sur le mur opposé.

Lamberto était disponible, nous avons longuement parlé d’immigration de transculture . Je lui confiais mes doutes et il conclut notre conversation par : « écris un article » sous entendant qu’il le publierait. C’était le résultat de notre première rencontre. Je suis sorti, sur la rue Saint-Laurent, heureux et reconnaissant. Quelqu’un venait de me faire confiance et c’est ainsi que j’ai embarqué dans cette touchante aventure entre métèques.

Depuis lors j’ai pris le Vice et je l’ai gardé. Since then, I recognized myself as a Transcultural for ever.