Tag Archives: Récit poétique

Desert blanc (IV)

Par Karim Moutarrif

Tout avait basculé. Il fallait changer de vie, changer de corps.

Il s’en voulait d’être parti. D’avoir fui parce que c’était de­venu insupportable.

Il était revenu parce que c’était insupportable de rester si longtemps loin d’ici.

Mais tout ça était absurde dans le fond.

S’il était parti, c’est qu’il ne pouvait plus rester.

 

Je sentais que je ne pouvais pas être que d’ici.

Tout petit, il m’est resté gravé dans la mémoire l’image de ce bateau qui fendait les eaux.

Dans le fond, il n’y avait ni ici ni là-bas.

Il y avait surtout ici-bas.

Quand je regardais la carte je voyais un point perdu dans le globe et le reste à parcourir.

J’étais déjà frustré à l’idée que je ne pourrais pas tout voir.

Il relisait cela dans de vieux cahiers où il avait inscrit sa rage d’adolescent.

Beaucoup de choses s’étaient définitivement jouées à ce moment là.

 

Il reprit le chemin de terre rouge, cette terre ferrugineuse que le soleil desséchait inexorablement, un peu plus chaque jour, pour accéder au bitume de la route.

Il se demandait toujours comment la sécheresse n’avait pas fini par tout désintégrer.

 

De l’autre côté, il y avait l’océan, immense, mystérieux dans la nuit tombante.

Il était seul dans le soir couchant et sa solitude coïncidait avec les ruades des vagues sur le roc impassible.

Il reprit le chemin vers ses hôtes.

 

Il vit une enseigne de Coca-Cola traduite dans la langue du pays. Jusqu’où le Royaume du Plastique était prêt à aller pour vendre.

C’était à la fois drôle et tragique.

 

J’ai bu du Coke aussi, cette boisson qui a violé toutes les intimités culturelles de la planète.

Je ne suis pas fier de moi.

C’est rare que j’en boive aujourd’hui.

Là-bas, je n’avais pas de recul. C’était, comme ils disent, sweet.

Le Coke c’était l’Amérique, et l’Amérique un cliché.

Plus tard, j’ai vu l’Amérique, ça n’avait plus rien à voir avec la douceur du folk et du grand rêve que j’avais à l’esprit.

Du Coke, j’en ai vu, jusque dans le tréfonds du pays de mon père. Dans son bled natal pourtant collé à la préhistoire.

Il n’y avait pas d’électricité mais il y avait du Coke!

La route s’arrêtait loin de là, la piste faisait une bonne quarantaine de kilomètres. Mais au bout il y avait du Coke et un générateur à essence pour alimenter une TV noir et blanc.

Action at a skateboarding park

D’ailleurs, le téléphone a sonné, dans une autre vie.

Quelque chose ou quelqu’un a décroché.

Un très mauvais enregistrement d’une voix féminine très suave se fit entendre.

De plus en plus d’ailleurs, il devenait difficile d’avoir un être humain au bout du fil.

Depuis la naissance des ressources humaines.

Arrière musical bon marché d’une radio commerciale. Une voix d’homme.

Le monsieur vous interpelle. C’est à quel sujet. Vous expo­sez votre problème. Il vous demande votre immatriculation d’abord, avant d’aller plus loin.

Ensuite il disparaît dans la ligne et du jazz de supermarché prend la place.

On sent le second palier plus soigné, l’univers plus feutré.

 

Il resurgit dans le récepteur: tout est sous contrôle.

Je suis sur son écran. Il m’a dit mon nom et mon adresse.

Je lui ai dit que justement j’appelais pour signaler que je n’habitais plus là.

Si je déménage, je serais de nouveau leur client.

Je voulais juste changer le nom sur la facture de téléphone, je n’habite plus ici.

Je serais toujours sur leur écran.

Un mariage de raison pour avoir l’électricité.

Pour la définition des couleurs de ma télévision que j’allume que très rarement.

Et justement d’un coup de télécommande, il illumina l’écran.

Des images d’un désert de sable apparurent.

Quatre amazones participaient à un rallye.

Suréquipées et bardées de gadgets.

Très fières, elles contaient leur périple dans la misère.

Aux nouvelles, bien sûr, au moment de la cote d’écoute la plus chaude.

Le jeune pasteur qui les observait se demandait quels pê­chés elles avaient commis.

Non loin de là, la femme courait dans le soir tombant.

Les cheveux au vent. Le foulard dépareillé.

Soulevant sa robe pour mieux courir vers nulle part.

Cette femme vient de perdre son enfant.

Elle revient de l’hôpital, le seul qu’il y a dans ce pays.

La mort du nouveau-né, le troisième, est due à des causes mystérieuses.

Le mauvais oeil y est pour quelque chose.

La femme ne courait vers nulle part, elle ne sentait même plus ses chevilles se tordre dans cet immense champ labouré, qui la séparait du bidonville où elle habitait.

Elle était hallucinée et des larmes amères coulaient de ses yeux, sur ses joues. Cet enfant qu’elle avait porté plus de huit mois, qu’elle avait senti grandir et bouger en elle était devenu un mirage.

Elle venait d’apprendre la nouvelle.

Elle venait de voir l’enfant mort à jamais.

Dans ces pays, pas de suivi médical de la grossesse, pas de prévention, pas d’argent, de toute façon.

C’est drôle comme les mêmes êtres, selon les endroits n’ont pas la même valeur.

Le rallye est passé à côté, dans un bruit infernal et une tempête de poussière.

Quelques indigènes sont morts. Mais que ne pourrait-on pas faire pour distraire les gens du Nord.

Bien sûr, personne n’avait vu la femme qui courait dans son désespoir. Elle non plus.

 À travers la fumée de ma cigarette, entre l’abat-jour et la fenêtre, je revoyais ces images.

Je reconsidérais la situation.

Je me suis levé.

Je suis sorti, engoncé dans mon manteau d’hiver.

Je méditais ainsi en marchant dans la neige.

L’été était bel et bien fini et les tropiques quittèrent avec lui les lieux.

Vers le Sud.

D’ailleurs quand l’hiver s’installe, on oublie qu’il y a un été.

Et moi j’étais là, et ma tête moutonnière avait suivi, vers le midi.

Le répondeur enregistrait les messages en attendant mon retour.

Ces images me hantaient, elles revenaient à mon insu m’oc­cuper l’esprit. Je regarde sans voir. Elles occupent toute ma vision.

 Maintenant que tu m’as retiré de ta vie, j’essaie de reconsti­tuer le puzzle de la mienne, avec des pièces qui m’arrive  en désordre, des archives de la mémoire.

Je suis ici et ailleurs et je ne sais plus où je suis.

Après tant d’années d’absence, il allait s’asseoir en tailleur dans un coin du patio. À même le zellij propre.

Regarder le rituel du thé illuminé d’une intrusion solaire.

La bouilloire siffle.

La poignée de thé dans la théière.

La rincée.

L’addition de la menthe et du sucre et le retour au feu avant la dégustation.

Les bruits de bouche pour refroidir la boisson chaude.

Rien n’avait changé.

Quelqu’un frappe à la porte, entre et s’installe.

 

Il pensa à la simplicité de la mort, dans ces contrées encore bibliques pour un temps.

Les gens du peuple n’avaient que la terre pour sépulture.

Seul artifice, une pierre orientée différemment indiquait le genre de l’occupant.

Le vent et la pluie finissaient par avoir raison du petit tumulus et la pierre tombale se couchait.

La Nature réintégrait ainsi son bien.

Quand la mort n’était plus un culte, le sable avait déjà recouvert l’ensemble pour l’éternité.

 

D’ailleurs le sable et l’éternité ne font qu’un.

Le sable est un miroir.

Il rappelle la condition première.

 

Et tu redeviendras poussière.

Dans un mouvement inexorable.

Une fatalité sympathique, en somme.

 Valmalenco (IT) - laghetto di Campagneda - pattinata su lago ghiacciato

Je voulais m’enfoncer loin dans le temps.

Au tout début.

Comment les choses se sont imbriquées.

Je voulais m’éloigner de ce monde qui m’avait envahi, pour voir un peu plus clair. Me défaire de mon barda, redevenir nu comme le premier homme, puis revenir par les méandres de moi-même.

 

Pendant qu’il cheminait entre les collines que la ville avait sauvagement assaillies, les orangers amers de la grand rue dispersaient le parfum de leurs fleurs.

 

C’était un parfum fétiche. Qui remontait à la nuit des temps.

Une brise soufflait de la mer par un beau soir de printemps.

Il avait l’impression que toutes les maisons étaient closes sur leurs habitants.

Qu’il était seul dans la ville.

Il aurait voulu marcher longtemps sur cette route.

Même le bitume était devenu amical.

 

 

Je regardais la patinoire de ma fenêtre.

La neige avait habillé la ville de sa robe blanche.

 

Sur le stationnement d’en face toutes sortes de voitures que l’Amérique, le Japon et l’Europe avaient pu produire, étaient garées.

 

En fait, la tranquillité du quartier était elle-même contes­table. L’immeuble où il nichait, était pris entre le  chemin de fer, en-deça du fil qui chante et une rue qui descendait droit d’un hôpital avec le cortège d’ambulances qui l’accom­pagnent.

De surcroît la proximité d’un croisement permettait de compter tous les véhicules qui s’arrêtaient au stop, toute la nuit.

L’été y était torride.

 

Le thermomètre indiquait moins quarante avec le facteur vent.

Puis j’ai cru avoir la berlue.

Une caravane de chameaux faméliques apparut dans le sta­tionnement puis les animaux s’écroulèrent un à un avec leur passager.

Les voitures démarrèrent en contournant les bêtes et les hommes.

On aurait dit que les uns et les autres n’appartenaient pas au même monde. Que les automobilistes voyaient des obs­tacles, des formes, sans saisir la réalité.

Peut-être bien qu’ils ne voyaient rien du tout?

 

J’ai saisi mes jumelles et scruté de plus près.

Il me sembla que la situation était grave.

Qu’on ne pouvait pas laisser cela se passer sans intervenir.

J’ai décroché le récepteur de mon téléphone, il n’y avait plus de tonalité!

 

De ma fenêtre, je vis plusieurs passants sur les trottoirs longeant le stationnement. Ils n’accordaient aucune atten­tion à la scène qui se déroulait à quelques mètres d’eux.

 J’ai ouvert ma fenêtre et me suis  mis à crier à l’aide, mais apparemment personne ne réagissait à mes sollicitations.

Comme si on ne m’entendait pas.

J’ai couru pour ouvrir la porte, la serrure était bloquée.

Il se réveilla en sursaut.

C’était une espèce de cauchemar que la chaleur tropicale ambiante favorisait fortement. Il était superstitieux.

Ce rêve avait une signification. C’était un appel.

Et le climat y était propice.

L’air chaud et humide était étouffant.

Il était neuf ou dix heures du matin et ce qui lui parvint fut une odeur écoeurante de végétaline et de frites provenant du poulet frit Kontiki du coin de la rue.

Il se précipita dans la salle de bain pour se rincer le visage et continua sur sa lancée vers la cuisine où il lança une grosse cafetière.

Il remonta le store et le soleil envahit la pièce en même temps que l’odeur du breuvage.

Pendant qu’il s’en versait une tasse, il alluma une cigarette.

En avalant une rasade, il tira une bonne bouffée.

Il envisagea sa journée tout en allumant la radio.

Aux nouvelles, on annonçait que ces maudits sauvages s’a­musaient, justement, à planter du “pot”.

Tout le monde était gêné, le ministre, la police, les journa­listes.

C’était toujours délicat de “faire de quoi” vis-à-vis de gens qui posaient d’énormes problèmes de conscience à la ma­jorité “blanche”, disait un commentateur attitré.

Il sourit devant toute cette hypocrisie, tout en cheminant vers ses ablutions.

Il ne fallait pas se prendre la tête de bon matin.

C’était drôle de se retrouver tout seul.

Dans un appartement. Venu de nulle part, allant nulle part.

Tu n’étais plus là pour partager un café.

Je me souviens que par le passé, c’était un rituel auquel nous nous pliions avec un certain plaisir.

Nous parlions beaucoup toi et moi, c’était peut-être une erreur car nous avions fini par trop nous connaître.

Mais peut-être aussi que nous avions mieux appris à cacher ce qui ne relevait pas de notre relation.

Pour garder des jardins secrets qui devraient s’ouvrir au moment où nous ne serions plus ensemble.

Il avait reçu un coup de téléphone insolite du bout des âges.

 L’homme qui parlait était mon père.

Je n’ai senti aucune émotion de mon côté.

Il disait mon fils.

Il semblait fatigué par les années

Mais c’était trop tard.

Non, non ce n’est pas un mauvais remake de l’Étranger de Camus.

C’est la vérité nue des choses.

Quelque chose s’était détraquée il y a longtemps. Personne n’a crié gare.

Ils s’étaient éloignés l’un de l’autre depuis belle lurette.

Un vrai malentendu de a à z. Mais qu’y faire?

 

Mon père parlait une langue autochtone, à laquelle moi pur produit de la colonisation et de l’impérialisme, je n’ai jamais pu accéder.

Je n’en fais pas un drame comme lui ou d’autres.

C’est drôle d’être père et fils sans parler la même langue.

 

Il avait même dit à son père qu’il ne voulait pas faire subir à ses enfants ce que lui a vécu.

Le vieux n’a pipé mot, mal à l’aise.

C’était ainsi que les choses se sont passées.

Ils avaient de la difficulté à se comprendre.

Mais comment lui expliquer que de toute façon, au moment où il lui parlait, sa vie, lui son rejeton, était à terre.

Il lui aurait répondu, dans sa fermeture, tu n’aurais pas dû vivre avec une infidèle.

 

J’aurais monté le ton pour lui dire que rien n’y aurait changé.

Que l’infidèle je l’aimais, enfin que moi aussi j’étais un infi­dèle!

En raccrochant le récepteur, je suis resté là-bas.

 

Le regard de Darwin ou le périple de l’affect (V)

Par  Karim Moutarrif

Quand tu ne parles pas beaucoup, le regard t’est d’un grand secours.

Les chats se ruaient sur la table puis à terre où elle avait fini par placer le plat d’olives, mais ils exigeaient aussi du melon d’eau. Je n’avais jamais vu des félins baver sur ce genre de fruits. Il me semblait qu’ils étaient carnivores. J’appris plus tard que chez les chats on retrouvait aussi des originaux. L’un d’entre eux plus touchy que l’autre, aimait les crèmes au chocolat, les yaourts, le riz au lait. Enfin, il faisait dans le dessert sucré.

J’étais au cœur d’une cité construite au début du siècle dernier déjà. A nouveau c’était Panam.  Les pieds sur le pavé et la tête dans cette brique rouge qui fit charnière entre le siècle dernier et celui d’avant. J’étais égaré  entre les mondes et heureux d’être porté disparu. Je n’avais plus rien de ces choses matérielles que l’on accumule dans la sédentarité. Je revoyais mon grand-père sur son chameau, lui, sa maison et son mobilier. Je voulais la paix dans ce statut en suspens.

Il fallait à nouveau changer de langue et de terre. Et c’était excitant.

D’ailleurs, à plus de dix milles mètres d’altitude j’avais confirmé cette sensation, entre l’humanité et dieu. Entre Le Nouveau et le Vieux continent. Dès que l’oiseau de fer prit son envol, je vis la terre se transformer en illusion. Et dans l’entre deux ce fut un immense parterre de coton surplombé d’un ciel bleu turquoise surmonté de rougeur du soleil couchant, comme on peut en voir quand on s’approche de dieu. C’est à cette altitude que l’on peut prendre du recul. Au fur et à mesure que l’oiseau s’élevait, la nuit recouvrait le cosmos de son manteau sombre. Au point que le halo de lumière du plafonnier captura les veines de mes mains sur le hublot devenu noir. J’étais suspendu dans les cieux.

Après le vieux continent, ce fut l’Afrique.

D’abord ce fut la brume.

Une fraction de seconde j’ai pensé au dérèglement climatique. Mais non, j’avais juste oublié. Cela commence ainsi certains matins, un peu brumeux et frisquets. Ces matins là, le réveil du soleil est plus laborieux que d’autres jours. C’est sur un tapis de nattes que j’ouvris les yeux. La maison était vide mais avec ses hauts plafonds et son allure altière, elle était belle. Je sentais dans ses murs l’amour qu’elle m’avait distillé autrefois, j’y étais bien. C’est pour ça que je sentais ses vibrations. Comme autrefois. Même désertée par les enfants qui avaient grandi, puis par les parents prenant de l’âge et préférant, une habitation à un seul niveau.

Le four, qui était au  premier niveau, avait fermé depuis au moins une décennie déjà. Quand le Père, entendez un respectable patriarche, réalisa que la boulangerie semi industrielle n’était plus rentables Mais le four était aussi public, les gens amenaient leur pain sur des planches recouvertes d’un tissu. Du pain qui fleurait bon la levure. Le fournier reconnaissait tous les plateaux, des centaines. Il arrivait parfois que des erreurs se produisent mais tout finissait par s’arranger moyennant une ou deux galettes gratuites ou la prochaine cuisson offerte par la Maison. Beaucoup de boulangers travaillaient alors et l’activité était incessante. La clientèle domestique était tout aussi colorée et l’heure du repas de la mi-journée, quand le soleil est au zénith, l’activité y est plutôt bourdonnante.

Quand le four a arrêté de fumer avec lui s’est tu le foisonnement et ce bout de quartier perdit sa vie. Cette maison avait porté beaucoup d’événements majeurs de mon existence, mais aussi de toute la tribu qui y a gazouillé pendant deux bonnes décennies. Elle m’avait pris dans son antre, me protégeant dans sa chaleur, m’épargnant les misères de l’errance, la nuit.

J’y entrais et les maîtres des lieux me désignaient une place que je prenais parmi eux. Je me souviens. En face il y avait le bidonville, la terre rouge et la misère qui n’avait pas régressée d’un iota. C’était visible et enrageant. J’observais pour la énième fois les lieux. Un aïeul habillé comme dans un autre temps, une autre histoire, marchait le long d’un des murs qui encadraient grossièrement cette ouverture donnant sur la fameuse carrière. Il s’arrêta, souleva sa burne et se soulagea. Les habits, les enfants, la saleté ; la poussière qui s’élève et reste suspendue au dessus de cette carrière. Ce refuge pour paysans en rupture de terre. Comme on désherbe une friche. A la troisième génération, je pensais à Karl, contemporain de Charles dont le regard m’obsédait. La reproduction sociale, c’est terrible.

Seul le palmier, dressé avec ses cheveux de rasta, dominait la mêlée et sauvait sa peau.

Je me suis retiré dans ce patio au carrelage bleu délavé et aux murs blancs donnant sur le ciel.

Cela donnait une touche d’aquarelle prononcée au tout. Irréel mais pas si loin, car ici tout est suspendu, on pénètre dans la pesanteur. Le soleil accapare le temps et le ramollit. Coup de chance je n’avais pas de montre et la vieille maison refusait de me livrer le temps. J’étais perdu toute la journée et c’était délicieux. J’ai mainte fois tenté d’apprécier l’heure mais j’en fus incapable d’autant que j’arrivais d’un long voyage. Que j’avais perdu le sens de mes ancêtres, les Sauvages de cette terre.

J’avais dormi dans une vague toute la nuit. Mon lit était un matelas gonflable qui s’était quelque peu dégonflé. Non rien n’avait changé, le satellite et le portable s’y étaient mêlés.

Je suis resté plusieurs jours sans nouvelles de rien et sans téléphone. L’intensité des bruits avait chuté brutalement, loin des métropoles du Nord. Ici les mouches avaient encore le droit de cité, on pouvait les entendre voler dans les longs moment d’accalmie. La dernière journée de l’été, la température grimpa comme un lézard sur un mur, très haut, au-delà de 30°.

Plus tard dans la nuit, la voix des muezzins se répandit sur la ville qui commençait à s’assoupir.

Mon ami m’extirpa de la densité des villes. C’est là qu’il m’emmena dans la montagne, loin des turpitudes de l’humanité. Nous étions en altitude mais la montagne était plus haute encore. Accrochée aux nuages elle distillait son pouvoir magique vers la plaine et les hommes. De temps en temps on entendait le chuintement de pneus sur la route que silence faisait aussitôt taire. J’ai passé des heures à la regarder, à essayer de comprendre sa genèse, dans l’air envahi par l’odeur d’olives fraîchement pressées. C’est sûr elle représentait l’éternité, indifférente aux cycles ridicules des petits êtres qui l’ont foulée, enfin depuis qu’ils existent.. Des touffes de nuages à différentes altitudes l’accompagnaient vers le ciel. C’était un vieux massif qui en avait vu des glaciations et des cataclysmes. C’est ici que le destin m’avait mené pour méditer ce retour, entre ses mamelons pointés vers le ciel, sous un soleil de plomb.

En fin de course l’étalon vieillissait, son galop s’alourdissait, je vieillissais aussi. Je n’étais plus compétitif. L’artiste que j’étais n’avait jamais assimilé le côté mercantile des choses.

Je commençais à fatiguer sérieusement sans voir venir d’occupation pour mes vieux jours.

Dans ces errances  j’ai rencontré un ami qui m’a hébergé dans sa famille pendant qu’il était volage. Mal lui en prit je me suis retrouvé du jour au lendemain à la rue dans une ville où je venais de débarquer, sur ma route vers le nord.

La nuit, la cocaïne, l’alcool, l’ecstasy, je n’avais jamais fait de combinaisons aussi  explosives, mais mon corps en avait vu d’autres en plus de n’être qu’un visiteur. Le jour s’est levé avec un soleil aveuglant.

C’était la Catalogne, Barcelone, la ville de ce fou qui est mort sans terminer son œuvre. Je veux dire Antonio Gaudi pour lequel j’avais une admiration sans bornes. Le matin avait une autre couleur. J’ai dormi par bribes dans un bureau d’attente où j’ai passé une bonne partie de la journée. N’ayant pas enlevé mes chaussures depuis un bon moment, une désagréable odeur s’en échappa. Quelque chose qui rappelait la fermentation. J’haïssais ce genre de laisser aller mais en même temps je me suis dit que cela n’arrivait pas qu’aux autres.

Cela me rappelait ma lointaine adolescence et l’odeur qui me réveilla dans un squat  où j’avais sombré en ébriété. Mais même la tête dans la brume, l’odeur m’avait réveillé et j’en étais ressorti en pleine nuit pour marcher jusqu’à chez moi. Paris, Montmartre.

Le regard de Darwin ou le périple de l’affect (IV)

Par Karim Moutarrif

J’habitais juste au-dessus et ses yeux dorés m’ont tout de suite fasciné. Je n’en avais jamais vu d’aussi beaux.

Paris était devenu fade. C’était une ville sale, dense et hostile. Montmartre avait perdu de sa bohême depuis la Commune mais je n’avais pas vu ça autrefois. Le Sacré-Cœur était encore plus froid dans ses dorures mortuaires. Je n’assumais plus cette fougue, ce bruit perpétuel. C’était moins pire que New York mais en mauvaise voie déjà.

arbre contre jourEn se tournant vers moi et d’un ton égal, elle avait débité ses phrases avec calme. Elle s’y était préparée depuis des mois, elle y avait pensé la nuit : « Pour moi quelqu’un qui ne croît pas en Dieu n’est pas un être humain, alors nous allons arrêter nos relations là ». A près un léger raclement de gorge, j’ai rétorqua que je n’avait rien contre. Je m’attendais à l’annonce d’une catastrophe et la montagne accoucha d’une souris.                                                                                                               « C’est tout, eh bien je vais de ce pas prendre congé » Joignant la parole au geste, je me suis levé, j’ai décrocha mon manteau et je l’ai enfilé, j’ai ajusté mon couvre-chef et noué mon écharpe. J’étais de dos pendant toute cette opération et je me suis dirigé vers la porte sans me retourner. Ma sœur venait de réaliser que j’étais un mécréant.

Je savais bien qu’elle n’avait pas eu le courage de dire ça à ses collègues de travail dont bon nombre étaient athées.

Elle était ébranlée et dans son désarroi, elle avait tranché. Mais telle que je la connaissais, j’ai pensé qu’il fallait laisser la poussière retomber pour qu’elle réalise l’absurde de sa décision.

Avec moi c’était plus facile, j’étai la brebis égarée d’une famille éclatée depuis si longtemps. Une famille qui avait si peu duré que je n’en avais qu’une vague mémoire.

Je ne me  rappelais même pas avoir été un enfant. Ce n’est que quelques décennies plus tard que nous avons recollé tout ça.

Après l’inflexion de la courbe de la vie, le regard se perd au-delà des actes manqués du passé,  se racheter de toutes les conneries accumulées avec le temps.

Moi je ne voulais donner ni mon corps à la science ni mon âme à leur dieu. Je voulais être incinéré pour rejoindre ma mère Nature au plus vite et servir d’engrais à la vie future. Ne pas perdre de temps, aller à l’essentiel.. Pour être utile sans tarder, rejoindre la chaîne à la base, comme une multitude de cellules. Car il c’était moi, mais c’était amusant de se regarder du dehors, comme si on était étranger à soi. Après toute cette chevauchée je voulais juste la paix, je voulais aimer tranquillement ces êtres qui m’ont été si intimes.

Son père avait le livre sacré sous le bras chaque fois qu’il le visitait. Il demandait quel était le verset le plus performant pour le ramener à la vie, à d’autres tartuffes.

A la fin du parcours le bronco n’était plus l’étalon, il s’était transformé en dévot sentant sa fin proche. Je n’avais pas le droit de le voir, il était dans les quartiers de haute sécurité de la médecine. Les visites étaient rationnées et réservées à sa famille.

Je l’imaginais allongé dans son lit comme endormi, en paix, avec tous les câblages et autres tuyauteries branchées. Je suis sûr qu’il s’en fichait,  là où il était et peut-être qu’il y resterait.

Derrière une vitre je le regarderais. Je ne pouvais que l’imaginer.

Ne pouvant plus lui parler je faisais parler ses objets pour lui. Toutes ces années que j’avais raté, les chicanes utiles et inutiles, l’énergie gâchée.

Krison était un artiste. Qui n’avait jamais trouvé son terrain et surtout sa mère l’avait délaissé tout petit. Aujourd’hui je comprends mieux son attitude destructrice. Il ne s’en était jamais remis, pour la vie. Maintenant je peux le dire après tant de décennies passées sur cette planète. Il pensait qu’il ne valait rien parce que sa mère l’avait dépossédé de cette reconnaissance fondamentale dont un garçon a besoin auprès de sa mère. Il l’avait pris tout enfant comme une déchéance.

En même temps que je pensais à ça je voyais à la télévision des camps d’extermination. Les images de ces corps décharnés activaient mes glandes lacrymales plus que son corps engourdi dans un sommeil profond que j’imaginais.

Moi je savais qu’il n’avait pas toujours été gentil, surtout depuis qu’il avait contracté cette maladie mortelle et que j’avais appris qu’il ne prenait aucune précaution lors de ses ébats sexuels, pour distribuer la mort au nom de sa jouissance. Nous avions eu une terrible dispute. Je lui ai dit que ma conscience ne pouvait pas cautionner ça. J’avais coupé court à notre amitié et les années passant j’ai eu du remord.

Mon cœur s’est arrêté de l’aimer à ce moment là. Mais ce n’était certainement pas son père qui l’aurait entendu de cette oreille là.

Parti en Europe et loin de sa tribu, personne n’était au courant de ses perditions. Il restait cette photo du brave jeune homme souriant enlaçant son paternel dans un sourire chargé de candeur.

Sa plongée dans l’enfer de la drogue et de l’alcool dura quelques décennies et quand il rentrait pour des vacances, il ne laissait rien paraître. Je l’avais suivi comme un garde du corps  contre mon gré, disons protection rapprochée, dans ces quartiers sordides et peuplés d’immigrants où l’on pouvait se procurer ce poison qui le dépossédait de lui-même.

Je me rendis compte que son père était pleurnichard et que l’âge n’avait rien arrangé.

Je l’aurais presque bâillonné pour ne plus entendre cette voix fausse et hypocrite.

Elle me rappelait celle que j’avais déjà enregistré dans ma mémoire quelques décennies plutôt quand le mouflet faisait des bêtises et que le père voulait qu’on le sente éploré. Mais déjà à cette époque là ça sonnait faux à mon oreille.

A la télé, le regard des enfants orphelins arrachait le coeur

.

Il faisait gris sur Panam et nous ne nous étions pas réconciliés. Gris comme ces jours où vous avez envie de vous déclarer absent de la vie sociale, résolument dans votre robe de chambre pour la journée. La vie avait jeté l’ancre et la mer était d’huile. J’étais dans l’attente de mon godot sans la moindre indication sur les traits qui permettrait de le reconnaître, sur le  quai d’une  station, vers nulle part.

 

De la fenêtre je pouvais voir les gros camions sortir jour et nuit pour s’élancer sur le périphérique. Une espèce de centre de transit encore encastré sur le bord de la cité.

You’ll be a looser or a has-been

Just like in a solitary game

You’ll play and play again

And one day you’ll win

It can take a life

Just stick to your dream

La douce France se dévoilait à nouveau. J’avais quitté la sauvagerie des ces villes de grandes solitudes pour retrouver le sourire tranquille des gens de ces campagnes en voie de disparition. Je glissais dans cette douceur des après-repas, après l’apéritif qui a un nom singulier mais qui est souvent pluriel. Ajoutez à cela le sang du Christ et j’en devenais eucuménique, sensible à toutes les douceurs de l’humanité. Je ne voulais pas que ma mémoire oublie cette beauté naturelle des gens non stressés. Avec la déformation que j’avais pris après de longues années en Amérique du Nord, je scrutais ma place dans la queue mais les gens n’en avaient que faire, j’étais ridicule. Dieu que l’on pouvait être déformé. Dire que mon grand père venait du désert. Et qu’ils faisaient la queue pour abreuver leurs dromadaires.

Désert des Wahiba Sands

C’était là que je me sentais chez moi,  partout où il y avait cette humanité et du coup selon certains esprits étroits j’avais perdu mon identité. Et pourtant c’est dans ces moments d’extase que j’étais le plus terriblement humain. J’aimais cette plage que je n’avais vu que de loin, j’aimais ce rythme en dehors du tumulte. Je pensais à Jean-Léon de Médicis also known as Hassan El Ouezzane dont l’humanité n’avait été reconnue que du mauvais bord mais dont l’Humanité devrait se souvenir comme d’un exemple des effets de l’Amour universel, que beaucoup de ceux qui ont quitté le terroir ont découvert. Je ne voulais plus revenir en arrière.

L’enfant aveugle marchait dans un champ de mines, la bande de gamins qui le regardait était pétrifiée. Son propre oncle, très jeune, puisque sa mère avait été violée par des militaires de l’armée d’occupation à douze ans, n’avait déjà plus de bras. C’est qu’ici on envoyait les enfants déterrer le mines anti-personnel, certains y restaient ou revenaient avec des morceaux en moins. Ils vivaient entre ces épaves monstrueuses d’engins de guerre laissés, cuirasses de tanks et autres véhicules blindés. Le petit enfant aveugle ne savait pas où mettre les pieds et le chef de la bande lui criait de ne pas bouger en essayant de se rapprocher de lui pour le sortir de l’enfer. C’est à ce moment là de la déflagration eu lieu brouillant la vision dans un nuage de fumée opaque. La mine avait sauté à l’intérieur de moi-même. J’ai pleuré, c’était un film témoignage, sur certaines parties du monde où les caméras étaient bien souvent absentes, où les enfants n’avaient pas plus de valeur que leurs parents. Alors des cinéastes concevaient des films de bric et de broc pour témoigner.

J’avais été retenu comme il arrive parfois dans la vie quand on s’enfarge dans les obstacles, qu’on s’embourbe dans les aléas. Entre temps j’en avais vu des choses. Des milliers de mots qui n’ont pas été couchés sur le papier ou même sur la page virtuelle, peu importe. Comme disait cet écrivain dont je n’ai pas retenu le nom, une journée sans écrire est une journée perdue. J’ai senti la douleur subtile que cela procurait, une espèce d’amputation mentale temporaire. Un sentiment de culpabilité.

Charles avait resurgi un soir, alors que nous étions tranquillement en train de jouer à la playstation, geste citoyen de la modernité en route vers je ne sais où, le Grand Vide peut être.

Nous étions habitués à une meute de chiens qui ne sortait que la nuit et qui meublait régulièrement le silence du quartier, comme 101 dalmatiens, mais ils n’étaient qu’une quinzaine. Ils terrorisaient le quartier qui en devenait plus lugubre la nuit.

C’était un retour à Salé la triste, Salé la ville aux pirates.

J’étais reparti sans faire de bruit. Je n’avais que mes effets, j’ai appelé un ami qui est venu me chercher et avant de quitter j’ai glissé les clés dans la boîte aux lettres. Je n’avais de regret que pour les chimères que nous ne réaliserions probablement pas, l’énergie perdue.

Des explosions de colère que je ne comprenais pas et la dernière qui me signifiait que j’étais de trop. De toutes les façons des retrouvailles avec des êtres chers que je n’avais pas vus depuis un quart de siècle m’avaient bien remué. Je trouvais que la colère ne justifiait pas l’humiliation qui n’a d’effet que si on la ressent. Mais les mots avaient été lâchés à dessein.

Mon ami avait pris de l’âge comme tout le monde, dans un environnement hostile, les années aidant son caractère en a été transformé.

Je ne voulais pas perdre l’ami,  alors je suis parti. Toute discussion étaient inutile voire impossible.

Désert blanc  (II)

Par Karim Moutarrif

Les salles de classes en préfabriqué, avec un poêle au fond et le stock de charbon dans la cour.

Les encriers et l’encre offerte par le gouvernement.

La bouteille et son bec verseur. Et la dictature du maître.

L’école des garçons séparée de celle des filles par un haut mur.

Et le nom de ce maudit ministre qui avait donné la connais­sance aux siens et la domination de la race supérieure sur l’ensemble de l’Afrique au même moment, gravé sur le fronton de l’édifice.

Son nom était sur toutes les bâtisses de ce genre   construites à travers le pays.

Dans ce temps là, la propagande de la révolution avait be­soin d’édifier la machine à modéliser des citoyens, disait son vieux prof un peu, beaucoup à gauche.

Je ne savais pas tout ça quand j’étais petit.

Plus au fond de la campagne, il avait connu aussi les écoles sans noms. Celles installées à la hâte dans des anciennes fermes.

Il fallait marcher à travers les labours pour y accéder.

Ils se retrouvaient en bande sur la route. Une espèce de ca­ravane, chargés comme des mulets de sacs d’école bourrés de cahiers et de livres, plus le casse-croûte.

Dans l’unique salle de classe tout le cours primaire était as­séné.

Les gamins de différents âges étaient regroupés selon la classe.

Les cancres étaient stationnés au fond, c’est vrai, ignorés des autres.

 Plus de rivière, plus de roseaux.

Ils avaient tout aplani, rasé les fermettes, et derrière, sur un fond de campagne, taillés à la serpe et à l’équerre, on voyait se détacher, comme dessinés sur le plan, l’autoroute et son péage.

 Adieu veaux, vaches et fromages.

 J’ai continué à marcher pour revoir l’épicerie cantine et la ferme où j’allais chercher le lait de la vache que la fermière trayait devant moi.

L’épicerie avait dû fermer depuis plusieurs années. L’état de décrépitude en témoignait.

Elle était ridiculement petite par rapport à l’image que j’en avais gardé.

La ferme est devenue une fermette, et dans le pacage il n’y avait plus de trace de mammifères depuis longtemps.

Le petit vallon sympathique avait été démantelé, il ne res­tait plus que les fantômes.

Résultats de recherche d'images pour « photos gratuites de beaux paysages »

À des milliers de kilomètres de là, c’est vrai qu’il y avait une rivière.

Mais dans le fond c’était encore une image déformée de l’enfance

Elle avait été asséchée.

En fait il n’est jamais bon de se retourner, de revisiter le passé.

On y froisse ses illusions.

Dans ces moments de vertige, où rien ne sert de rse repèrer.

Quand l’amour n’est plus.

Le rêve cassé.

 

Cette rivière je l’entendrais, trente plus tard.

Elle fut le déclencheur.

C’est le bruit de l’eau qui m’a emporté très loin derrière.

Dans un bois canadien, chez un ami.

Surtout le bruit de l’eau.

Et dans mon désespoir, je me suis réfugié sur le bord de la rivière de mon enfance.

Les grenouilles jouaient une symphonie de leur chant nup­tial.

Par une nuit d’été.

Quand une multitude de fleurettes toutes plus belles les unes que les autres font une brève apparition, tapissant un parterre de verdure, éclairé par la lune.

Et l’envie de rêvasser dans ce magnifique tableau.

La rivière en arrière et le bois au fond, au milieu des bruits mystérieux de la forêt.

C’est de là que je venais avant de te rencontrer.

L’odeur du café chatouillait les narines, la maisonnée s’éveillait tranquillement.

La relâche était perceptible dans l’air

C’était samedi, journée des petites annonces.

Ils recevront des montagnes de curriculum vitae.

Ils choisiront tranquillement sur les milliers.

Il souriait devant les définitions de poste comme ils disent.

Les jobs étaient de plus en plus bizarres.

Il y en avait de moins en moins et en fond sonore, on en­tendait le bruit du vent dans le feuillage des arbres.

De sa fenêtre il pouvait voir un océan de verdure.

C’était le grand show de l’été.

Il n’y avait plus qu’un petit bout de ciel, les feuilles avaient tout envahi.

Il n’y avait que ça de vrai dans le fond.

Le reste n’était qu’artifice.

Le réveil de la nature était à chaque fois une leçon.

Dire que, quand l’hiver les plumait de ses blizzards, ces mêmes arbres semblaient morts à jamais.

Vont-ils fleurir et faire pousser des feuilles comme l’année dernière?

Verra-t-on les bourgeons pointer?

Jusqu’aux dernières provocations des éléments, c’est tou­jours la grande attente.

Puis un matin en sortant, le miracle s’est produit.

La nuit a porté la vie et au jour, une multitude de petites pousses sont apparues sur les branches.

Pendant ce temps je marche dans la tempête, c’est halluci­nant.

La neige avait tout confondu de son immense manteau blanc.

La ville n’avait plus de sens.

Les voitures étaient anéanties, le bitume enterré.

Et je rêve que ça le reste pour toujours

Je suis tout seul dans le paisible tourbillon de neige,

La ville n’existe plus, elle est irréelle.

Je suis un nomade dans le désert blanc.

Je marche dans une matière friable, fragile dans laquelle je m’enfonce.

J’entends le doux  crissement de mes pas dans la neige fraîche. Je marche sur un parterre immaculé, d’une blan­cheur extraordinaire.

Et je pense à toi.

Résultats de recherche d'images pour « photos gratuites de beaux paysages »

Les halos de lumière des réverbères font miroiter les flo­cons de coton suspendus qui se déposent doucement, sur mon chapeau, sur mon manteau dans les moindres replis du tissu.

Mon image devient floue et peut-être que je serais effacé de l’image.

Que je disparaîtrais dans le blanc.

C’est vrai que le journal du samedi devait coûter un tronc d’arbre par numéro, facile.

La fin de la lecture était assez tumultueuse.

Il regrettait toujours, une fois le torchon secoué, d’avoir mis autant d’argent dedans.

Mais chaque samedi, il se faisait une petite gâterie: il ache­tait un tronc d’arbre pour le jeter dans le bac de récupéra­tion, une fois écoeuré.

Il était mal à l’aise, avait l’esprit ailleurs.

Je savais déjà que tu me prenais pour un raté.

Tu m’avais dit que je n’étais qu’un pauvre type.

C’est pour ça que j’étais reparti revisiter ma vie.

Depuis la première fois où tu me l’as dit.

Pour comprendre comment se fabriquait un pauvre type.

Les années avaient usé l’amour et je n’avais, pas plus que toi, de contrôle sur ces choses là.

Il avait apporté dans ses bagages tous ses souvenirs et très peu d’effets.

Il les avait posés dans un coin du patio à l’abri de la circu­lation, sur le zellij aux couleurs de la Méditerranée.

Il imagina des valises en carton, en bon immigrant de re­tour au pays.

Parfum bon marché et cravate en sus.

Ce qui le ramenait sur ses pas était un rendez-vous très particulier.

Dans un cimetière pour pauvres où la plupart des tombes étaient de terre.

Un décor dénué de fioritures.

Le décor des humbles que l’histoire oublie.

Le taxi l’avait déposé loin là-bas, sur le bord de la route.

Pendant le parcours il avait mesuré les changements.

Il était parti de la Ville des corsaires, en longeant la côte vers le sud.

Il avait traversé le fleuve sur une barque, pris un taxi col­lectif jusqu’à la limite de la ville, puis avait fini par pendre un taxi à lui tout seul.

Il avait longé les murailles de torchis de l’enceinte “pré-co­loniale ” de la ville, comme ils disent dans les bouquins d’experts.

Il avait été surpris par la densité, le nombre de piétons, le bruit.

C’était en fin de journée.

Dieu que j’avais perdu l’habitude, j’aurais du le savoir

Ici aussi, ils bitumaient, rasaient des quartiers, défonçaient des cimetières.

Le sol était réquisitionné pour la rareté.

Ailleurs on parlait de qualité de la vie, de trou dans la couche d’ozone, du cancer provoqué par le tabac, etc.

Il n’y avait pas beaucoup d’arbres dans le décor

La ville minérale, vorace comme une tornade balayait tout sur des dizaines de kilomètres.

Non ce n’est pas San Francisco, mais si ça continue, ils feront plus fort que San Francisco, ce sera un pays minéral.

Mélangé à l’exode rural, à la pauvreté, à l’entassement…, à l’absence de moyens.

Je me souviens de dépotoirs à ciel ouvert, entre les hommes et la mer.

J’avais appris plus tard, à l’école que c’était à l’opposé de ce qu’il fallait faire. Mais mes livres n’avaient pas vu la misère et les enfants jouaient dedans au soleil couchant.

L’aridité donnait des traits ascétiques au paysage.

A beaucoup d’endroits le sol avait été emporté et depuis des décennies plus rien n’y pousse.

Une croûte que même les orages violents ne défont plus.

Ça lui était brutalement revenu à l’esprit.

J’ai marché de la route jusqu’au royaume du silence,

J’ai foulé la poussière rouge jusqu’à l’emplacement.

De toute façon je marchais sur mes espoirs comme j’aurais claqué du talon sur un macadam luisant. La nuit, sous la lumière maussade des réverbères.

Dans le partage des pouvoirs de l’ombre entre deux lampa­daires.

La vie peut être vue à travers ces petites choses absurdes, incongrues.

Dans une lecture parallèle tout à fait plausible.

Rien ne l’interdisait.

Debout devant l’endroit où il ne devait plus y avoir qu’un engrais, fixant la pierre tombale, il se mit à parler en fran­çais dans un cimetière musulman.

L’épitaphe de marbre avait perdu ses caractères arabes.

Une très belle écriture calligraphique, noire jadis, sculptée dans le marbre.

Il jeta un regard circulaire pour s’assurer de leur intimité et s’entendit dire:

 Ça fait bien longtemps que je ne t’ai pas rendu visite, je te boudais maman, je te boudais Mnaya et maintenant je re­viens à toi, plus âgé que toi avec toujours la même frustra­tion de ne plus te revoir.

C’est ça la mort vue par les vivants.

Je suis venu te dire que je t’admirais.

Je suis venu te dire que je suis toi.

 Il se disait en lui-même que cette espèce de rite païen était absurde, mais c’était plus fort que lui.

Il n’aurait supporté aucune intrusion. Ni la moindre ingé­rence dans la mise en scène.

C’était à lui, ça lui appartenait tout seul et personne au monde n’aurait pu remettre en question cette exclusivité.

Aucun rationalisme ne pouvait la balayer.

De toute façon, il avait choisi la discrétion pour n’interférer dans l’existence de personne.

Un cimetière au crépuscule, c’est rarement fréquenté.

Et le reste fut laissé à l’océan.

Très peu de personnes venaient se recueillir sur cette tombe.

La mort emporte dans l’oubli.

Le regard de Darwin ou le périple de l’affect (III)

par Karim Moutarrif

Je me suis baigné dans la rivière, tôt le matin, dans un silence irréel, une rivière non polluée, au milieu  d’immenses galets qui avaient dû être transportés il y a bien longtemps par des glaciers d’une autre ère. Au bout du monde, un silence troublé quelquefois par un bruit de véhicule qu’on aurait voulu éradiquer de la bande son, mais surtout par les ânes, les chèvres, les chevaux et les coqs. J’avais perdu l’habitude de l’existence de ces êtres là aussi.

Un luxe dont l’Occident m’avait dépossédé, sauf dans l’immensité écrasante de l’Amérique. Et même là-bas, il fallait l’entremise de la technologie pour y accéder.

J’étais venu avec la peur du choc après une si longue absence, mais ce ne fut que continuité dans des changements notables. Ailleurs cet endroit serait dans un parc naturel. Une exclusivité délaissée.

Je savais que je reviendrais en arrière dans le temps.

Le voyage à la montagne fut une excellente occasion de se perdre. On pouvait même y faire des rencontres en dehors du temps. Un paysan, plutôt de bonne humeur, que nous avons croisé avait dit, « Si tu es bien dans ta folie pourquoi cherche tu la raison ? » Lui le montagnard, qui, selon les apparences n’avait jamais quitté le pied de la montagne, dispensait des pensées surréalistes au vent, à qui l’entendra. Un fou qui colportait les propos d’un sage.

Ciel dramatique sur la route dans une vallée — Photo #10215012

Il n’y avait pas d’horloge et le mouvement du soleil restait la seule référence. Mais ce qu’il disait était sensé et je pensais qu’il n’y avait pas de hasard, qu’il m’avait laissé un message.

Je me gardais bien de demander l’heure à mes coreligionnaires, tous très bien équipés des derniers gadgets de l’Occident, portables et autres montres synthétiques. J’avais quelques jours pour réduire l’activité cérébrale au strict minimum, pour me laisser porter par cette langueur ambiante dans laquelle personne n’exprimait quelque inquiétude que ce soit.

D’ailleurs on se sentait y glisser irrésistiblement jusqu’à l’impression que le temps s’est arrêté, que plus rien ne se passera, que jamais on pourra s’en libérer. Jusqu’à l’étouffement.

Méditer.

Il fallait que je maintienne le fil de l’écriture, trop d’événements se bousculaient à l’entrée de ma raison.

Les choses restaient toujours dans le flou, rien n’avait changé.

La prise en otage, la désagréable impossibilité de dire quoi que ce soit. La liberté déjà brimée dans les rapports intimes, avant de quitter le foyer, vous avez déjà un aperçu de ce qui se passera dehors Un mal être qui se répercute sur les autres. C’est dans ce contexte aussi que je fis ce qu’ils appellent un retour aux sources. En toile de fond il y avait la misère dans une société qui ressemblait plus à une jungle qu’à autre chose, plus qu’ailleurs. La loi du plus fort était la seule. Les plus faibles se résigneront à leur sort. La souffrance dans les visages des gens dans la rue, les trottoirs éventrés, les grosses mercedes. Dans beaucoup d’expressions, la résignation aussi. Une pyramide de petits pouvoirs qui régissaient ainsi toute une lande. Je sentis très fortement la pression virtuelle mais bienveillante que me fit Charles à l’épaule. En Angleterre, c’était crado aussi au moment de la Révolution industrielle. Ici, il n’y a jamais de révolution, jamais eu de pays. Ceux du Sud n’ont jamais rencontré ceux du Nord. C’est un mariage forcé.

Je suis venu constater que plus rien ne serait comme avant.

C’était comme attendre le facteur au bord de la route, le voir passer et vous faire dire qu’il n’y a rien pour vous.

Loin de ma fille, je la languissais. Nos discussions, nos câlins, nos promenades, nos solitudes, sa joie et sa bonne humeur, ses créations, ses projets me faisaient défaut. Heureusement qu’il y avait l’écriture pour colmater la brèche.

Ici aussi j’avais trouvé un ordinateur. Ici, j’étais « rentré au pays », loin de la France et du Canada.

De la fenêtre de la maison où je logeais je voyais la carrière qui avait été envahie il y a longtemps par des squatters devenus depuis propriétaires.

Entrée mystérieuse — Photo #55945709

« Vieux à vendre » disait la voix depuis des siècles. Il y avait encore et toujours, ces acheteurs de vieux. Chacun chantait sa chanson dans son style y ajoutant bouilloire ou théière ou ferraille. écaille écaille écaille Dans la ville des corsaires et du djihad maritime, un terme qui était très d’actualité mais sur terre cette fois.

J’étais cloîtré, quand je sortais un petit moment j’avais suffisamment d’images pour méditer le restant de la journée. Une chose était sûre, je ne pouvais plus vivre ici, j’étais une fausse note et venir le constater me soulageait pour les derniers doutes que j’avais. J’avais déjà donné douze ans de ma vie, ce qui n’était qu’une broutille.

Hier le sort du monde se jouait dans une élection, celle de l’Empereur éponyme et le monde entier attendait fébrile, l’issue : Va-t-il être bon ou méchant le prochain président ? C’était quand même dérisoire à quoi tenait le destin de l’humanité. Le lendemain, nous nous sommes relevés avec la gueule de bois. Une chose s’achevait, une autre commençait.
J’avais cherché au pif, dans ce pays où un homme ne peut pas parler à une femme sans se faire surveiller, les traces de mon passé, de mes amours impossibles. J’avais retrouvé le nom de son frère, cette blonde d’il y a 24 ans. Sa maman allait bien, elle avait les problèmes de santé de l’âge.

« J’ai gardé le foulard que tu m’avais offert et les lettres fleur bleue que tu m’écrivais. Tu es le premier garçon qui m’a embrassé. Je vis seule, je suis mieux. » C’est ce que j’ai retenu de l’échange téléphonique. Le seul que nous eûmes.

Connaissant les susceptibilités ambiantes, je me suis présenté sur la pointe des pieds mais le message est parvenu. J’étais heureux. Le ton était chaleureux au téléphone ! En fait elle ne me rappellera plus et je ne la reverrais pas comme je l’avais espéré.

Puis je me suis enquis d’une visite à l’école où j’avais été formé. Là où il n’y avait plus de traces de moi.

Tout avait changé.

J’ai pleuré devant ce désert. Vingt sept ans, toute une vie. J’ai demandé son âge à un répétiteur qui s’étonnait de ce que je faisais là avec mon badge de visiteur, dans ce territoire qui avait été le mien, dans une illusion passée,  « Vingt sept ans », je lui ai dit, « j’ai quitté quand tu es né ». Il en fut interloqué.  Une bande de lycéennes ont débouché du tunnel, j’ai vu ma dernière parmi elles, elle avait le même âge. Je me suis rendu compte pour la première fois de la fragilité de cet âge.

Brutalement j’ai revu tout ce que j’avais traversé.

Je suis ressorti comme chassé d’un monde qui n’était plus le mien, avec le sentiment d’avoir été dépossédé. Il ne restait que des fantômes, de ces armées de professeurs, de pions, de surveillants généraux qui avaient contribué à mon cheminement. A l’évidence beaucoup d’entre eux n’étaient plus de ce monde.

J’ai refait le chemin de l’écolier que j’empruntais autrefois, il ne restait que la route, tout le reste avait changé. Les villas avaient progressivement été remplacées par des immeubles. La physionomie avait été remodelée, dans un bâti sans goût ni cohérence. Le quartier avait changé, violemment.

Je vieillissais.

Sentier de la forêt au coucher du soleil — Photo #2768282

Juste écrire, des fois c’est vital. Je sentais bien que je déprimais quand je ne pouvais pas brancher cette machine dont j’étais devenu dépendant. Juste pour colmater les bleus.

Mon ami me disait qu’il chattait comme ils disent mais qu’il ne pouvait rien conserver. La machine n’autorisait pas l’opération. Il ne doit pas rester de traces de vous, c’est confidentiel. On saisit ainsi chaque fois un peu plus le sens du mot virtuel comme vivre dans un rêve. Les langues mouraient chaque jour un peu plus sous les doigts des internautes pressés de communiquer. Tous les claviers y passent. Le temps de la machine devient la référence

Quand le virus a planté ma machine et que j’ai du réinstaller tout le système, mes fichiers avaient disparus à jamais. Heureusement je les avais immortalisés sur un disque compact. Au moment où j’avais tant de choses à dire, où ce que je ressentais partait en fumée au coin d’une autre idée et la tristesse d’en faire des orphelines perdues à jamais aussi.

La chose que je notais le plus c’était cette marque des années sur les corps et tous ces morts sur la route. Je n’avais plus vingt ans.

Dans cette ville où j’avais autrefois vécu tant d’années, l’émerveillement s’était évaporé.

J’étais un bohémien de cinquante ans qui n’avait pas encore trouvé sa route. J’attendais des formalités sans le sou. Je vivais aux crochets de mon frère et de l’ami qui m’hébergeait. Je me rationnais pour ne pas abuser.

Et je repensais à ce voyage au pays des ancêtres et la squaw me disant « Tu as souffert ». « Je n’ai pas fini j’ai juste appris à le faire en silence » aurais-je du répondre mais je ne voulais pas entrer dans les détails, en rajouter.

A l’heure qu’il était j’étais seul et j’aurais voulu parler à un être exquis qui m’aurait écouté en acquiesant de la tête, en appuyant mon propos.

J’étais reparti ailleurs. Paris XIVe.

Je suis allé là-bas à cet endroit où je l’avais connue, étudiant insouciant.

Mon cœur s’est serré quand j’ai regardé à travers une ouverture du portail qui donnait sur cette cour.

Il y avait un code à composer et je ne le connaissais pas. Je ne pourrais pas aller plus loin. Ma mémoire me restitue les scènes manquantes sans mal. Elles resurgissent.  Juste devant les boîtes aux lettres qui étaient là, juste en entrant sur la droite. Moi vérifiant mon courrier et elle passant le porche avec ses courses.

C’est là que je l’avais croisée pour la première fois dans une sortie hâtive en peignoir de bain.