« Goodbye Patricia »

Dans une autre vie, (et un autre siècle !) j’ai été acteur de cinéma. Si ! Si ! Ma très brève carrière a commencé au collège, à l’école secondaire Leblanc dans le quartier de Sainte-Rose au Québec. Jean Cousineau, notre professeur de cinéma, avait enrôlé les plus cinéphiles de ses élèves dans un long métrage que j’aimerais d’ailleurs revoir. (Je lance une bouteille à la mer).

Mais mon incursion la plus marquante dans le 7art en tant qu’acteur (car j’ai surtout sévi comme critique), je la dois à Patricia VergeylenTassinari. Disparue en mai de cette année 2023, cette cinéaste mérite le détour. Son cinéma aborde avec une légèreté sérieuse les thèmes les plus divers et les plus graves : le colonialisme, la religion, les relations homme-femme dans un monde postcolonial, la maladie, la création au féminin… En tout, elle réalisa sept films et demi, clin d’œil au titre-phare de son maître — Fellini — auquel elle consacra un moyen-métrage intitulé justement « Goodbye Federico ». J’y ai joué mon propre rôle en compagnie de l’ami Lamberto qui dans la vraie vie était le mari de Patricia.

Dans le film toutefois nous nous partagions le cœur d’Eileen, une jeune cinéaste dont les lettres envoyées à son célèbre mentor tissent la trame d’une ambition revendiquée : « to do a female 8 1/2 ». Rien de moins. L’héroïne que Sylvie Laliberté interprète avec grâce et fragilité se heurte aux sarcasmes de ses deux amoureux qu’elle cherche à convaincre de venir avec elle ainsi que de sa propre mère (Manya Baracs). Qu’à cela ne tienne, elle ira seule à Cinécitta présenter son scénario à son mentor. C’est ainsi que se termine cette fable : Eileeen s’éloigne sous une allée de palmiers. Il ne faut pas toutefois s’y tromper. Cette fin dans son apparente legerté à la Chaplin est empreinte de gravité car elle laisse une question centrale : la jeune cinéaste arrivera-t-elle à réaliser son projet ? La musique de Denis Larochelle berce élégamment ce road movie poétique où les doutes et les atermoiements de la création questionnent également les relations entre hommes et femmes.

Si j’insiste sur ce film, c’est non seulement parce que j’y ai un rôle (celui de l’amant !), mais aussi parce qu’il décrit bien, me semble-t-il, la manière de Patricia : tout y est en léger décalage, l’humour, la fausse naïveté et surtout la langue -nous nous exprimons tous dans un anglais à couper au couteau ! Or c’est justement ce déplacement qui fait l’unité et le charme de son cinéma.

Mais il y a une autre lecture que l’on peut faire de ce film. C’est celle de l’aventure transculturelle du magazine ViceVersa. Outre Lamberto et de moi-même, il y avait aussi présent dans le film une figure emblématique de la scène artistique montréalaise : le regretté Vittorio Fiorucci, le grand dessinateur. Les images de cette période sont rares. Sans l’air d’y toucher, Patricia nous en a restitué l’esprit. Grâce lui soit rendue.

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La Cinémathèque québécoise dédiera prochainement un cycle complet à sa filmographie. En attendant si vous voulez voir ou revoir le film « Goodbye Federico » ou l’ensemble du cinéma de Patricia VergeylenTassinari, cliquez plus bas sur les liens.

Goodbye Federico

 https://patriciavergeylentassinari.com/