Arturo Mariani
Parfois mes amis me demandent d’arrêter de m’exalter et de ne plus leur parler des histoires que certaines créatures terriblement dipsomanes me révèlent lorsque je prends un coup avec elles. Je suis sûr que, par exemple, mes copains s’inquièteraient ou se moqueraient de moi et qu’ils trouveraient invraisemblables les récits qu’un personnage tout à fait spécial et pittoresque est en train de me rapporter aujourd’hui même.
Il me les relate à voix haute depuis ce matin, lorsque je l’ai trouvé au dépanneur du coin, tout enfermé entre murailles vitrées. Ce sont de très belles tirades. Un peu violentes et dédaléennes, certes, mais toujours avec un excellent conseil à garder, une délicieuse morale à retenir, une judicieuse philosophie à saisir, comme cette chronique sur le fou qui, à force de jouer aux échecs, rêvait souvent qu’il était à l’extrémité d’une diagonale ouverte d’où il pouvait guetter une tour à encercler, une dame à conquérir ou encore un roi à tuer, ou cette histoire de l’homme qui imaginait à son tour des histoires qui poussaient comme de splendides fleurs colorées dans une bouteille de pinot noir, l’homme qui un jour, lors d’un grand accès de colère provoqué par un oubli inouï – digne d’une étude de la part des plus célèbres médecins du monde – les avait toutes bues sans les avoir jamais racontées.
Pour ma part, j’aurais voulu vous dire plus sur mon interlocuteur d’aujourd’hui. Mais j’ai encore soif, mon armoire est terriblement vide, il ne me reste que sa bouteille, et je pense que, sans l’élément dont il prend son inspiration, il va se taire bientôt. Et cela me cause beaucoup de peine : avec ses chroniques, le ver qui parle et ondoie dans cet alcool mexicain aurait gagné les plus prestigieux prix d’art oratoire, ou il aurait pu, grâce à l’entraînement à la nage qu’il a eu tous les jours depuis son enfermement, se rendre même aux Olympiades. Dommage que je doive boire le contenu de sa piscine et arrêter d’écouter ses histoires. J’aurais voulu en savoir davantage.