Ma journée du 20 janvier (jour de mes 66 ans), écourtée de 9 heures par le décalage horaire, s’est passée en 14 heures de vol plus 5 heures d’escale à Londres. Mon avion a touché le tarmac de Dubaï à minuit pile. Il tombait une petite pluie insignifiante – un crachin doux – qui rendait les gens tout excités, parce que la dernière «pluie» date de «seulement» onze mois. D’habitude, il ne pleut pas plus qu’une fois par année.
De Dubaï, un taxi m’a amené en une heure trente à Fujaïrah, le plus petit des sept émirats, qui est à 150 km, sur le golfe d’Oman. De ma chambre de l’hôtel Radisson Blue, je vois les piscines et la mer. Sur la plage déambulent autant des filles en bikini que des femmes en burka. Certaines vont même se baigner tout habillées dans les piscines, malgré un écriteau demandant de se baigner avec aucun autre vêtement qu’un maillot de bain. (En principe, cela signifie qu’on pourrait se baigner à poil… mais je n’ai pas encore vu de seins nus.)
La clientèle est internationale: Italiens, Russes, Allemands, quelques Français. Aux Émirats Arabes Unis, il y a très peu d’émiratis (que l’on appelle ici les «locaux»). Selon mon chauffeur de taxi, pas plus de 5%. Les autres sont des étrangers: Pakistanais, Indiens, Sri-Lankais, Philippins… On leur accorde un permis de travail renouvelable ad vitam æternam tous les trois ans, et on leur retire leur passeport. Ils peuvent s’enrichir, posséder maison et auto, mais jamais ils ne deviendront émiratis.
On m’a dit que sur les vrais citoyens des émirats, seulement 3% travaillaient. Les autres vivent de leurs rentes, conduisent leurs mercedes, voyagent ou baisent dans leurs harems. Ils reçoivent des terres gratuites pour construire leurs maison, reçoivent de l’argent de l’État chaque fois qu’ils se marient (ils peuvent le faire plusieurs fois) et aussi pour chaque nouvel enfant.
Le directeur du Fujairah International Monodrama Festival est aussi le maire de la ville (130 000 hab.) et le secrétaire général de l’Institut international du théâtre. Un type bien sympa et rigolo. Il essaie par tous les diables d’amener des jeunes gens à ses spectacles, qui sont surtout fréquentés par des dignitaires et autres invités d’honneur de tous azimuts. Au Festival, il y a des pièces d’Arabie Saoudite, d’Azerbaïdjan, de Syrie, du Royaume-Uni (un solo mis en scène par Brook, sur les Frères Karamazov), d’Égypte, de Jordanie, de Pologne, du Liban, d’Allemagne, des Émirats Arabes Unis et de Lituanie (l’Amant de Marguerite Duras: une petite merveille!). La première pièce a été jouée par une actrice marocaine et mise en scène par une Saoudite. Ensuite, un acteur azéri a joué une pièce autrichienne. Un solo de Shakespeare, Desdemona, sera interprété par une Polonaise vivant en Australie. Le monde n’a jamais été aussi petit…
La langue d’usage au pays est l’anglais, car la plupart des étrangers ne connaissent pas l’arabe. À la réception de mon hôtel, arrivé en pleine nuit, j’ai dû traduire les chiffres que demandait mon chauffeur de taxi (pakistanais) pour être payé de sa course: les réceptionnistes philippins discutaient en espagnol entre eux et en anglais avec moi et le chauffeur, mais le représentant du Festival de théâtre sorti de son sommeil pour allonger le fric ne parlait que l’arabe…! Heureusement, je connais les chiffres en arabe… Cocasse, non?
Michel Vaïs
Écrivain et rédacteur émérite de la Revue de théâtre Jeu de Montréal.