Category Archives: Ficciones

(What’s that?) VERT

 Giuseppe A. Samonà

green-wallpaper-34[1]Je ne sais même pas depuis combien de temps je suis ici, I’m get used to it, je me suis habitué, et parfois non. (Derrière le premier village, j’en avais trouvé un autre, puis un autre, et un autre, un autre, un autre…) Je ne sais même pas depuis combien de temps je suis en train de going around, de flâner tranquillement, les autres aussi flânent tranquillement – et il n’y a rien de plus à dire – je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, personne ne le sait, et le ciel est d’un azur laiteux, bouillant. Je flâne tranquillement.

Puis tout le monde se met à courir, je cours, I don’t know why, pourquoi ? Tout le monde court, et moi aussi, tous se précipitent dans leurs baraques, barricadent les portes, les fenêtres – comme quand la police – vous souvenez-vous ? – chargeait, mais maintenant il n’y a pas de police, pourtant tout le monde court, court, moi aussi je cours … pendant ce temps le ciel s’est obscurci, un nuage a soudainement englouti le soleil. Vert. Courir, courir à tout rompre, moi, comme tout le monde, mais non, il n’y a personne, je suis seul, les rues sont devenues désertes, le ciel est vert, vert clair sur ma tête, plus foncé, dense, au loin, et il s’approche, le ciel, vert. Il est en train de me tomber dessus. Cours, cours, cours. Vert.

Je cours, je cours, je cours, j’arrive à l’hôtel, le gardien, rond et placide, est en train de courir lui aussi : they’re coming, they’re coming. Vert. Les portes, les fenêtres, vite : Elles arrivent. Je m’enferme dans la chambre, dans le sac de couchage – une chaleur insupportable… J’étouffe, mais comment sortir de ma cage de tissu, ne serait-ce que la tête? Je pointe mon nez, enfin, je sors, c’est-à-dire, j’entre : dans une machine à pop corn qui me tire dessus des grains chatouilleurs, tièdes, de tous les côtés, et moi avec une grande rapidité je réplique, je tire à mon tour, je les frappe, ces petits riens chatouilleurs, avec mes mains, je les frappe sur mon visage mes yeux (que j’ai fermés) mon front mes joues mon menton mes oreilles fermées elles aussi (avec mes doigts rapides) mes yeux (fermés) ma bouche fermée, mes mains se déplacent très rapidement, really speedy, as Gonzales. Je suis un bunker que l’on essaye de pénétrer. Et me voilà de nouveau, la tête et les bras, et tutti quanti, dans le sac de couchage, bien que ce soit étouffant, pour respirer tout en étouffant, car dehors, à l’air, il y a ces grains qui essayent d’entrer par n’importe quel trou, et de tous les trous la bouche est le plus grand. Et puis hors du sac à nouveau – car à l’intérieur, tout en respirant, j’étouffe – hors du sac, avec le pop corn, le flux continu. Dehors dedans, dedans, dehors… Je ne sais combien de temps cela a duré…

Mais à un certain moment le flux, comme un robinet sur le point de se fermer, commence à diminuer, puis s’arrête. Alors, mu par une curiosité craintive, je me lève, je vais à la salle de bain, en face du miroir, j’allume la lumière (entretemps le soleil s’est couché…) et je vois, avec une stupeur horrifiée et béate (je ne sais l’expliquer, je puis seulement le dire: je suis fasciné, and more, bewitched) du sang, du sang qui coule, des filets, des ruisselets de sang qui coulent abondamment le long de mon visage, les yeux, la bouche, les joues, pour former même au sol de grosses gouttes, et ces petits corps minuscules, pas plus longs que l’ongle du petit doigt, dix, vingt, trente, affreusement écrasés sur ma peau qui saigne – you see ? si un seul de ces petits corps seulement m’effleurait, et même moins, sûrement je m’évanouirais, c’est tellement disgusting, dégoûtant, mais maintenant ils sont nombreux, plus que nombreux, ils sont une armée, tous ensemble, écrasés sur mon corps à moi, sur mon noble visage, comme une mer verte dans un océan rouge, et moi j’ai voyagé à travers cette horreur répugnante, je suis un héros grec qui vient soudainement de se réveiller trente siècles plus tard ici, en face de ce miroir, et je ne peux pas m’en détacher, de cette vision, mes mains deinàs, meurtrières, mes ennemis morts sur le champ de bataille (c’est mon visage ruisselant) : j’ai vaincu les petits monstres verts.

(C’est pourquoi j’en reparle aujourd’hui, et à bon escient, je crois – la question est légitime : les sauterelles, si elles sont nombreuses, si elles sont une armée, peuvent-elles être considérées comme des insectes ? Nostalgie effrayée de la guerre… Les amis qui comme moi aiment Tim Burton savent que ces lignes lui rendent hommage)

 

 

 

BLEU (La nuit où nous sommes morts de la peste)

Giuseppe A. Samonà

bleu[1]En robe de chambre, les cheveux en bataille, elle descend le chemin qui à travers le bois relie sa maison à la nôtre, elle agite un journal, elle hurle : le choléra ! Le choléra ! En effet, la première page dit qu’à Naples il y en a trois ou quatre cas, peut-être dix, et puis les moules, le vibrion, la panique. Mais si c’est comme ça à Naples, qu’est-ce que ce sera à Palerme ? (marmonne-t-elle, et le dernier mot enfle, résonne comme un gouffre terrifiant: Palieaimmo…) Palerme, tout le monde le sait, est une Naples plus petite et plus violente, d’une hystérie archaïque et pernicieuse, elle grouille de morveux pleins de poussière, ‘i picciriddazzi, il y a la rate qui pue le sang, il y a les oursins qu’on vend dans la rue – hier soir nous nous en sommes empiffrés, c’est notre oncle qui les avait apportés – et mille autres saletés de la mer, qu’on mange toujours et seulement crues (la rate qui pue, les picciriddazzi, les orgies d’oursins, pazzi, fous, vous êtes fous ! fous ! fous !…). L’épidémie est certaine. On a déjà bloqué les bateaux et les trains à destination et en provenance – surtout en provenance – du continent, parce que, pendant que nous parlons, des dizaines, voire des centaines de morts s’amoncellent dans les rues de Naples : mais bien sûr ce ne peut pas être encore dans le journal, qu’elle continue d’agiter comme une preuve. Les autres adultes me semblent sceptiques : certains par fanfaronnade (le fameux oncle, arrivé de Palerme, annonce pompeusement qu’il retournera bientôt en ville, parce qu’il a une envie furieuse de mollusques vivants, ceux dans lesquels il faut enfoncer les dents pour les dompter, à Mondello, sur le quai), d’autres encore, sous l’effet d’une peur exorcisante … et de toute façon lavez-vous les mains, les enfants…  Et tous se moquent d’elle, plus ou moins gentiment : le journal invite au calme, et elle, depuis toujours, a la réputation d’être une exaltée – Cassandre, Cassandre... Tous, mais pas nous, les enfants : nous courons nous laver les mains, et nous voici de nouveau dehors, à l’ombre du mûrier, blottis à ses pieds, et elle, les cheveux toujours en bataille, la robe de chambre à moitié ouverte, qui amoncelle les morts et les désastres dans les rues de Naples, et même de Palerme, Palieaimmo, scènes d’horreur, fleuves de liquides et de merde, hordes de rats, de ces fameux rats de Palerme, ri Palieaimmo – désormais le choléra est devenu la Peste…, voraces et répugnants, charrettes pleines de cadavres, parfois encore vivants (!), ou agonisants, ou entassés là par mégarde, avec leurs cloches qui sonnaillent, tirées par des hommes baveux, plus baveux qu’humains, démons ricanants que la maladie a épargnés, l’apocalypse…   Hypnose de la terreur, la nôtre – ou même : attraction magique… Car nous, les enfants, nous sommes la tribu, les fourmis, mais qui volent en essaim, rapides comme la nuit, et il est trop puissant, ce sentiment à l’intérieur de nous, et nous ne pouvons pas non plus faire comme s’il ne l’était pas, même si bien sûr nous le dissimulons, de peur qu’on ne nous prenne pour fous, qu’on nous sépare, et nous montrons à dessein des visages effrayés, muets ; seulement, de temps en temps, au moment opportun, lorsque le récit semble sur le point de s’assoupir, rassasié, une simple question, un appât lancé tantôt par l’un, tantôt par l’autre : mais tu es sûre ?, pour rallumer le flux, les vagues de douleur, de merde, de mort, tandis que le jaune de l’après-midi qui avance se dissout dans l’azur du ciel, dans le vert, le rose, le rouge du lointain horizon marin, et tous ces tons se mêlent à l’ultime lumière du soleil, à l’apparition des premières étoiles, pour donner une couleur encore jamais vue : bleu – et une tiède et douce caresse nous enveloppe. Nous sommes comblés[1].

C’est donc cela, le bonheur ? Des enfants qui crient maman, maman, tandis que la charrette s’éloigne ? et ces morts ? et les adultes ? et la désolation de chacun ? le désespoir ? Non, non, ce n’est pas cela, c’est sûr – et pourtant (comment l’expliquer ?) la conscience tranquille, nous ne ressentons en nous aucune indignation, aucune culpabilité, mais au dehors, sur le toit, nous entendons les loirs aller et venir. Il fait sombre à présent, les étoiles le ciel la mer lointaine se sont engloutis les uns les autres, il n’y a plus de mer, plus de ciel, plus d’étoiles, mais (comment est-ce possible ?) il reste ce bleu, il n’y a que lui, il est le tout, il est comme une sonorité continue, visible, une sphère impénétrable, enveloppante, avec nous dedans : c’est bleu. Nous nous sommes réfugiés au grenier pour mieux l’observer, allongés, par la grande fenêtre oblique, la tribu est au complet et nos pensées elles aussi vont et viennent, comme à l’unisson, et nous avons du mal à nous endormir : oui, nous sommes heureux. Dehors, les loirs vont et viennent, nous les entendons, et nous entendons aussi nos pensées, boumboumboum… comme si tous ensemble nous étions une seule grande tête, à tracer le dessein des événements extraordinaires qui transformeront, comme en un songe, la routine de la vie : quitter la Sicile ensoleillée où nous vivons tous ensemble, communauté d’enfants et d’adultes qui seulement et toujours jouent entre eux, pour se séparer de nouveau, l’école, le travail, ne plus être ensemble, grandir (c’est cela, la vie). Voilà, tout cela sera, tout cela est désormais impossible … Nous sommes assiégés – et la grand’place, le Château, avec ses sentiers dont les ramifications couvrent les autres terres que nous possédons (ici c’est seulement entre nous que nous courons par les sentiers, et l’espace semble infini) deviennent dans notre imagination une terre inexpugnable, où c’est toujours l’été, et qui ne connaît ni la maladie, ni la mort, ni le temps qui passe. Et nous pensons (toujours), et nos mains se serrent pour former une chaîne humaine, et ces pensées sont des mots qui n’ont pas besoin d’être dits, s’ils nous attaquaient (la maladie, la mort, le temps qui passe), nous combattrions : n’est-ce pas ce qu’avaient fait Ajax, Achille, les Amazones, dont les aventures qui nous sont si chères s’entrecroisent depuis toujours avec les nôtres ? (c’est le dompteur de chevaux qui nous conduit, cela va sans dire – mais on ne peut pas prononcer son nom : nous sommes Troyens…) Nous vivrions, en ce cas, mais en héros, nous combattrions ensemble, le danger de la nature nous unirait, entre prouesses et plaisanteries nous vivrions – nous vivrions, oui, en héros, parmi les dieux et les déesses, et en héros nous mourrions : et nous sommes là, entourant celui qui meurt pour le frictionner… son corps devient bleu, la couleur s’estompe, et tandis qu’elle s’estompe celui qui porte secours devient bleu lui aussi, c’est une vague bleue qui doucement se propage, et il se confond avec les autres, qui flottent comme autant d’icebergs sur notre mer, et le ciel, et les étoiles : bleu. Isolés, assiégés, nous combattons… la maladie… notre lieu, ce lieu magnifique… mais nous sommes tombés, la maladie, l’amour est plus fort, ou peut-être pas, bleu, oui, nous mourrons finalement, nous mourons, nous sommes en train de mourir, nos mains unies forment toujours une chaîne comme en un éternel tableau… Et finalement – mais comment ? quand ? – l’essaim s’abandonne, nous nous endormons, bercés par le bruit des loirs, les pensées se raréfient, elles sont devenues un rêve unique, tiède caresse qui nous enveloppe. Nous sommes bleus.

Tout cela, c’était il y a bien des années – oui, heureusement pour finir l’épidémie ne fut pas grand-chose, elle n’a même jamais vraiment commencé, nous sommes revenus sur le continent quelques jours plus tard, l’été a pris fin, le temps a recommencé à s’écouler normalement, et les couleurs sont redevenues normales, bienveillantes. La tribu s’est dissoute, dispersée dans le monde et dans la vie, beaucoup sont morts même si ce ne fut pas de la peste, et de toute façon personne n’est plus retourné au Château. Mais (n’est-ce pas étrange ?) chaque fois qu’il m’est arrivé, au cours des ans, de rencontrer l’un ou l’autre de ces antiques héros, qu’il (ou elle…) soit sur le champ de bataille, commandant aux hommes et aux choses, ou qu’il (…) mène une vie retirée, cultivant son jardin, au lieu d’enquêter sur nos destinées respectives, nous nous sommes immédiatement et comme par enchantement retrouvés à évoquer cette nuit-là. Comme si elle était l’apogée du bonheur, d’un bonheur désormais inaccessible. Bleu.

[1]  En français dans le texte italien.

Voir aussi BLUCette version française de Sophie Jankélévitch vient de paraître dans Les Citadelles, revue / anthologie de poésie, 20, 2015 (Paris)

 

La salamandra

Giuseppe A. Samonà

8170948596_071bc2400c_bArrivando, il caldo è soffocante, e dovrebbe esser notte, con noi a dormire, invece è giorno, e siamo svegli, anche se stralunati, e tutta quella gente dall’altra parte del vetro a battere con i pugni, accalcarsi, come se volessero proprio noi, noi in fila, stralunati, che dovremmo vorremmo dormire e siam svegli, e fa un caldo, e poi fuori, ancora più caldo, e la gente senza più il vetro, tutti che urlano si agitano ci accerchiano, tutti addosso, sì sì aiuto, e ci strattonano, ci toccano, aiuto, aiuto, hotel, hotel, siamo dentro un carrettino – ma quando siamo saliti ? – via a tutta velocità, ci ha anche un motore, ma che fa ? attenzione alla mucca, un’altra mucca, o è una vacca, it’s the same, ma in mezzo alla strada ? d’un pelo evitiamo un banchetto, un altro si rovescia, bestemmia, credo, il venditore, frutta tanta e bella a rotolare sull’asfalto, nella polvere, ma noi siamo lontani, oramai, via, via nel carrettino a motore che sembra una vespa grassoccia, mucche, macchine, altri carretti, banchetti, ho la nausea, ho paura, ma arriviamo, hashish hashish heroin, ma che dice ? no, no, ancora più paura, dove siamo ? via, dài, dentro l’hotel dentro la stanza, presto, chiudere la porta, e mi getto sul letto, esausto, appicicoso, schifoso, fa un caldo, un caldo, ed è sempre e per sempre giorno, almeno però sono sul letto, orizzontale, al sicuro – ma ecco, la vedo : proprio sopra di me, appiccicata al soffitto con le zampine a ventosa, rosa e ine, le schifose zampine, ma tutto il resto è one, enorme, e verde, la coda, il pancione (… one) che va su e giù, schifoso si gonfia e si sgonfia, respira, e il testone (one), che rovesciato mi guarda, gli occhi indifferenti, e la bocca si apre e si chiude, il collo anch’esso si gonfia e si sgonfia, come se stesse deglutendo qualcosa, o volesse parlare, sì, sì, mentre le labbra – ha anche labbra, maledizione ! – formano come un ghigno, sembra che sorrida, che rida. E sorridendo, ridendo – ma gli occhi come dissociati restano indifferenti – mi guarda, e finalmente (mi sembra) sibila, sussurra : Sono la salamandra – dice – e se mi gira ‘disventoso’ le mie zampine (così parlano le salamandre) e ti cado schifosissima sul viso. Sì, proprio questo dice – o forse son io che le leggo il pensiero, è lo stesso – guardando me che sul letto, dal letto, la guardo. E non mi muovo.

Dovunque altrove, è ovvio, sarei già balzato via, fuori, lontano. Ma ora, a che serve ? Fuori c’è hashish hashish heroin, e il traffico pauroso, la paura tutta, le mucche, i carretti, pericoli dappertutto, e la gente, la gente che urla, heroin, hotel, e persino mushrooms, e poi, è ovvio, hashish, hashish, e tira, strattona, tocca, tocca, con le mani schifose, lucertolose, sembrano anch’esse rosa, come mille zampine… Dio mio, se potessi la riattraverserai quella città infernale, sino all’aereoporto, al di là dei vetri, back through that fucking Looking-Glass e su, via, sull’aereo, per tornare a casa – non ho neanche vent’anni… Ma sono troppo, troppo stanco, appiccicoso, fa un caldo, non posso. Così, rimango steso sul letto, mentre le pale un poco più in là si son messe a girare – chi gliel’ha detto ? – rimestando il caldo, per me e la salamandra, che sempre sorride, ride, e mi guarda.(Quando il buio è arrivato, la sera, non paura come dovrebbe ci ha fatto, ma come un poco sollievo – come se tutto laggiù fosse stato al contrario, o forse è perché il tempo, almeno quello, rientrava nell’ordine, non so – e abbiamo messo il naso fuori dall’hotel, due passi, in mezzo alle ombre di uomini, sempre frenetici, urlanti, toccanti, ma come meno, e più dolci, c’è sembrato, ma sempre il caldo, e beviamo un mango delizioso, e ridiamo con il signore che ce lo vende e cerca di farci ridere, e cogliamo nell’aria un refolo – anche il vento esiste, allora… -, e guardiamo il cielo, le stelle, anche loro… – e torniamo nella nostra stanza, la salamandra sta sempre lì, ma mi sembra che non rida più, solo sorride, ed è, come tutto il resto, quasi accettabile :  il primo giorno sta finendo, e me ne accorgo – ma non mi accorgo, ancora non lo so, che mi sono già innamorato, e per sempre, dell’India)

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(…Or I could just cite Conrad again, only this time verbatim: “And this is how I saw the East. I have seen its secret places and have gazed into its very soul; but now I see it from a small boat, a high outline of mountains… The first sigh of the East on my face. That I can never forget. It was impalpable and enslaving, like a charm, like a whispered promise of mysterious delight”. How can I, today, not feel a sweet strong emotion seeing again in my mind that smiling salamander hanging over head?)

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(V. anche: Quand j’y repense en français)

MIROIR | ESPEJO

Arturo Mariani

Las Bolas

Au bar Las Bolas de Don Juanote, dans un lieu proche de Monte Real, je rentre toujours par la porte de droite. Ou c’est celle de gauche…? Je prends ma place, au bout droit du comptoir, et je commande un petit cheval de tequila. J’y viens tôt, armé de ma belle Valentine Olivetti, et me mets à écrire avant que les autres n’arrivent. Le miroir d’en face, derrière les bouteilles alignées et encore pleines, ne laisse rien voir. Puis les autres arrivent, les heures passent et toutes les bouteilles entament leur destin, jusqu’à ce que dans leur intérieur ne restent que quelques gouttes coriaces qui ne veulent pas en sortir. Don Juanote commence ensuite à retirer les contenants presque secs, et c’est alors que je surprends cet homme derrière le miroir avec une machine qui ressemble à la mienne. Je ne saurais dire comment ce type à l’air exotique s’arrange pour faire en sorte qu’on le voie, non pas dans le miroir, mais derrière. Les autres partent et me parlent, mais je ne veux pas parler avec eux. Je veux parler avec lui, une fois pour toutes. À cet instant précis Don Juanote m’appelle depuis la porte, je me retourne subitement… et c’est cela qui me provoque un vertige inénarrable. Tout se déforme. Je reprends ma position et revois ce type, une dernière fois, en lui criant que la prochaine sera la définitive, qu’il devra arrêter de m’imiter. Il doit être saoul, puisque tout à l’heure, du coin de l’oeil, je l’ai vu converser avec le petit ver qui nage dans le mezcal que j’étais en train de boire. Je lui fais un signe obscène et m’en vais rejoindre les autres, au même moment qu’il me crie quelque chose que je ne comprends pas. Ce n’est pas grave, on va tout régler demain, en face à face. Une fois pour toutes.

A la cantina Las Bolas de Don Jua- note, en un lugar cercano a Real del Monte, yo entro siempre por la puerta de la izquierda. ¿O es la de la derecha..? Tomo mi lugar, en el extremo izquierdo de la barra, y pido un caballito de tequila. Vengo tempranito, armado de mi bella Valentina Olivetti, y me pongo a escribir antes de que los otros lleguen. El espejo de enfrente, detrás de las botellas alineadas y todavía llenas, no deja ver nada. Después los otros llegan, las horas pasan y todas las botellas comienzan a cumplir su destino, hasta que en su interior no quedan sino algunas tercas gotas que no quieren salir de su respectiva morada. Don Juanote empieza enseguida a retirar las botellas casi secas, y es entonces cuando sorprendo a ese hombre detrás del espejo con una máquina que se parece a la mía. Yo no sabría decir cómo se las arregla este fulano exótico para lograr que se le vea, no en el espejo, sino detrás. Los otros se van y me hablan, pero yo no quiero hablar con ellos. Yo quiero hablar con él, de una vez por todas. En ese preciso instante Don Juanote me llama desde la puerta, yo volteo súbitamente… y eso es lo que me provoca un mareo inenarrable. Todo se deforma. Retomo mi posición y vuelvo a mirar, de reojo, al fulano ese, mientras, extrañamente, él habla con el gusanito que nada en el mezcal que yo me estaba bebiendo. Ese hombre debe de estar borracho, porque además lo veo gesticular y hacerme señas obscenas cuando le grito que ya le pare, que deje de imitarme, y que soy yo quien escribe las historias que él hace como que escribe. Es un idiota. Ya me tengo que ir, pero la próxima vez va a ver.  Nos vamos a ver las caras, de una vez por todas.

The Ride Home

Patricia Vergeylen Tassinari

She always rode the same bus because she liked the exotic smells which travelled back and forth as the doors opened and closed. She had always loved the exotic. As a child Mary had longed for something unusual, strange; she had wanted her parents to be different from the others. However, the only exotic aspect of her childhood had been a Chinese wallpaper which hung above her bed. At night, she would escape and join the kimonos in the gardens. Now at twenty she lived alone in a run-down part of the city, the furthest from home. Her parents never came to visit, they couldn’t understand this daughter who had always been so quiet, a daughter they had never known.

Mary liked to sit in the middle of the bus and on the side with the single seats. She always tried to sit alone now, ever since that man sitting beside her had whispered the word “blood” to her. She had been too afraid to look at him and everything around her became red for a few minutes. She still didn’t know, what had he meant? her blood? his? the world’s? She was always afraid now of other words whispered to her between one bus stop and another. Tonight she stood and began to play her usual game. She would chose a passenger, it had to be someone from a distant country, close her eyes and imagine him back home. She would undress and dress him, make him smile and leave him in a significant setting. She hadn’t travelled yet so she would always place the Greeks on the Acropolis and the Italians at the Colosseum. Her eyes were still closed when she felt someone tugging at her sleeve.

Signorina, signorina, look“.

Photo: Sergio Fontana
Photo: Sergio Fontana

An old couple were handing her a yellowish photograph of a little girl sitting on some steps. The woman kept on pointing to Mary’s hair, her eyes, her worn out fingers would run from the photograph to Mary’s face. Mary thought she recognized herself, once she too had that smile. The woman wrapped her arms around her and lead her off the bus. The old man followed with bags.

Mary walked along with them on streets which were becoming less familiar. The sky too had never seemed this bright. She followed them into an apartment full of colour. The walls were ocher. Gold and silver angels with the little girl’s face were strung over the furniture and across the windows. Mary was delicately led into a bedroom, she was handed a large white starched night gown. Blinds came rolling down and white sheets stood almost upright as the old woman prepared her bed. Mary was soon tucked in and the old woman stroked Mary’s hair until she fell asleep. That night she dreamt of churches, piazzas and angels. The next morning she woke to the sound of shuffling feet and the smell of coffee. As she entered the kitchen the couple smiled at her and invited her to sit between them. A big pink cup foaming with milk was handed over. Mary felt happy. She liked this old couple, the pink and blue plates, the angels flying about. It felt like home. She would stay. •

 (Published in ViceVersa n.40)