Roberto Scarcia
« Il est maintenant temps de faire le point : 80 films en tant qu’acteur, 16 films en tant que réalisateur, 9 oscars, 4 mariages, 3 tentatives de suicide, 3 ans en hôpital psychiatrique, un corps qui pèse 130 kilos… un père avec un seul œil… » Avec ces mots commence Hashayim Keshmua, ou La vie comme une rumeur (Life as a rumor), le documentaire sur la vie d’Assi Dayan, le fils de Moshe.
La voix rauque, le ton blasé, tabac et cocaïne obligent, le fils du guerrier sioniste raconte sa vie. Né en 45, Assi Dayan m’a accompagné le long des montagnes russes de sa vie. Il m’a dit « d’avoir été élevé par sa nounou Simcha qui lui racontait les histoires d’Ali Baba qu’elle entendait sur… Radio Bagdad ». Il m’a raconté « qu’enfant il cherchait l’œil perdu de son père sous le bandeau noir », il m’a révèlé « qu’il s’a fugué adolescent à Chypre, qu’il s’est barré durant son service militaire et toute l’armée d’Israël s’est mobilisé pour le chercher lui, le fils de Moshe Dayan », il chronique ses fait d’armes, ses idées, ses amours et tous ses vices, le tout comme l’arche de Noë dans le déluge d’Israël. Il m’a parlé d’une « aventure pirate » et « du désespoir tourné en idéologie ».
La vie du fils de Moshe Dayan n’est pas seulement la chronique d’une relation d’amour et de haine, du fils vis-à-vis son père, mais aussi une métaphore brutale et sans complaisances de la société israëlienne. Les derniers mots avant la fin m’ont touché comme un coup de poignard : « je joue le rôle d’un psychologue qui se fait payer par ses clients pour les conseiller de sauter par la fenêtre et qui à la fin il se suicide… Mais moi je fais semblant d’être mort couvert de sang, je suis encore vivant me vautrant dans le ketchup ». Difficile de faire le point à mon tour sur ce courageux chef d’œuvre d’Adi Arbel et Moish Goldberg . Toute comparaison est nécessairement boiteuse. Que chacun aille le voir et se fasse sa propre idée.. S’il y a bien un film qu’il est nécessaire d’aller voir, c’est bien celui-ci.
« Je pars chez moi (home)» dit la fille. « Chez toi ? Dans cette pitoyable diaspora ? » demande le père. « Elle se sent chez elle en Allemagne » répond la mère. « Elle n’a rien en commun avec l’histoire allemande », rétorque le père. « Ce n’est pas important, elle a une patrie (homeland) » dit la mère. « Ce n’est pas une patrie, c’est un simple lieu de résidence » insiste le père. Ce dialogue crucial à trois sur le thème de la patrie et de l’appartenance se fait en hébreu et donne le ton de Schnee von Gestern (Farewell Herr Schwartz ou Adieu M Schwartz) une production allemande réalisé par l’israélienne Yael Reuveny. La réalisatrice part à la recherche de Feivke un grand oncle donné par mort en 1945 qui refait surface sous le nom de Peter en Allemagne de l’est où il meurt en 1987. Michla, la grand-mère de Yael Reuveny devait rencontrer son frère à la gare de Lodz après la guerre, mais dans la salle des pas perdus, les deux rescapés de la Shoah ne se sont pas trouvés et chacun a fait en solitude ses choix de vie et de pays, elle en Israël, lui en Allemagne. Cet adieu à l’oncle Peter jadis Feivke est un voyage initiatique qui embarque deux familles et trois générations. Le film creuse dans les plaies du traumatisme des journées signés par le silence et des nuits marqués par les cris des cauchemars, de la « maudite terre allemande », des photos évoquant et amour et haine, de l’effort d’essayer de comprendre. Peu importe si le jeun cousin allemand retrouvé de la réalisatrice ne soit pas à mon avis à l’hauteur intellectuelle de sa cousine israélienne. Le film est fort et profond. Dommage que la grand-mère et le grand-oncle de Yael Reuveny soient décédés avant la fin du film.
J’ai écrit cette série de chroniques à la première personne ; ce n’est pas rien . Pourquoi ? Parce que ces deux films, sous le signe de l’étoile de David, sont, chacun à leur manière les meilleurs films que j’ai pu voir à Biarritz : ils m’ont bouleversé et ont transformé mes émotions ; soudain je me suis retrouvé comme un enfant dans le vertige des montagnes russes, Cependant l’un et l’autre font l’impasse sur un fait à mes yeux grave et qui aurait du pourtant interpeller les réalisateurs. C’est l’absence criante de toute référence à la souffrance des Palestiniens. Comme liberté, la douleur ou plus précisément la mémoire de la souffrance des Israéliens s’arrête là où commence celle des Palestiniens. C’est pourquoi la souffrance de ces derniers constitue la mesure morale des Israéliens. A quoi bon explorer la douleur passée si on n’est pas en mesure de comprendre celle que l’on inflige à ses voisins les plus proches. C’est une question d’éthique. Certes ont prétextera que “ce n’était pas là le sujet”; que l’on “peut pas tout aborder” et que ce n’est pas aux Israéliens de parler de Palestiniens ! Mais alors à quoi bon le courage, l’hauteur de l’espoir, les abîmes du désespoir, l’épaisseur artistique, la sincérité et « tutti quanti »…