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FIPA 2014 : Scandinavie-Allemagne, blanches lumières du nord

 Roberto Scarcia

Arvigegne

La série danoise Arvingerne (The Legacy) de Pernilla August a remporté le FIPA d’or du meilleur scénario dans la section : “Séries de télévision”. Les deux premiers épisodes de la série présentés à Biarritz s’ouvrent avec la mort d’une artiste riche et célèbre qui laisse son beau château à une fille illégitime qui gagne la vie en vendant des fleurs. La jeune femme   encore sous le choc de la découverte de son identité, est catapultée dans les méandres des relations avec ses demi-frères et sœurs : les enfants « légitimes » de la grande artiste. On devine les problèmes de succession qui s’étaleront au grand jour dans les épisodes suivants. The Legacy incarne techniquement le genre de la série télé à son meilleur : l’exploration de personnages divers sur des temps longs marqués par des épisodes différents qui permettent un approfondissement des personnages et des situations  qui évoluent au gré des événements et qu’il est difficile de construire dans un simple long-métrage. Il faut le reconnaître, The Legacy confirme la puissance et l’inventivité des séries scandinavesPass Gut auf ihn auf, veut dire en allemand « prends-toi soin de lui » . Avec ce film, Johanne Fabrik a obtenu le FIPA du meilleur scénario dans la section des films de fiction. Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme qui se sachant atteinte d’un mal incurable,  va chercher à rabibocher  son mari plus âgé avec son ex-épouse. Vu  sous cet angle culturel, c’est un film stimulant. Je suis tenté de dire, avec un respectueux clin d’œil aux intéressés que si Martin Luther avait été cinéaste et non pas pasteur,  il aurait pu s’appeler Johannes Fabrik, si ce dernier n’était pas né à Vienne, ancienne capitale de la très catholique maison des Habsbourg. Difficile en effet  de ne pas voir un  emprunt religieux dans la jeune femme qui face à la mort imminente (punition divine peut être?) fait une analyse de conscience et sent d’avoir commis un pêché : « je l’ai séduit et pour moi, c’était un jeu » dit-elle « et j’ai gagné ». Et que dire de l’ex-femme du mari qui lui reproche de lui avoir piqué l’homme aimé lorsque celui-ci était « en pleine crise de la quarantaine ». Détail  qui à son importance. devinez  la profession de la première femme ?  pasteure luthérienne ! Mais au-delà des thématiques de la solitude protestante face au vide de la maladie, sans le filet de protection du sacrement de la confession catholique, et au-delà du vertige de la recherche de la rédemption individuelle, ce film permet de dénicher d’autres aspects intéressants dans l’arrière-plan de l’histoire du film. Le mari part souvent travailler en Scandinavie et on ne remarque pas de clivage culturel entre l’allemand et les scandinaves,  si ce n’est  par la différence entre langues sœurs de souche germanique. En d’autres mots,  allemands et scandinaves se traitent entre pairs ; l’allemand est un professionnel et la terre scandinave est le lieu de son travail, non pas un endroit pour se reposer, pour faire la fête, comme souvent sont portraiturés  le pays du bassin méditerranéen. Nuance fondamentale  aujourd’hui  où l’unité européenne bégaye. Peut être est-il  temps de penser une refondation de l’idéal européen en commençant par une première unité partant des similitudes culturelles : Allemagne et Scandinavie germanophones et luthérienne au nord, Italie et Espagne latines et catholiques au sud. Quant à la France  qui se trouve au centre de toutes ses influences  mais ne participe ni à l’un , ni ni l’un ni l’autre, et bien elle est à part:  c’est peut être ça au fond « l’exception française ».

FIPA 2014 : la Grande guerre et la diversité du pacifisme européen

Roberto Scarcia

Manifestation-pour-la-paix-Amsterdam-1917

2014 n’est pas une année comme les autres : il y a  un siècle l’Europe commençait la page la plus sanglante de  son histoire. La 27e édition du Fipa a marqué comme entendu l’anniversaire de la Grande guerre avec films de fiction et documentaires  et un prix spécial au réalisateur belge Jan Matthys pour son film  In Flamse velden ou Dans les champs flamands, fameux théâtre de la guerre de tranchée.

Le film suit la vie d’une famille bourgeoise de l’époque, celle du Docteur Boesman à Gand et les effets de la guerre sur ces membres. Au-delà de l’histoire d’une famille marquée par l’horreur de la guerre, le film a le mérite de ne pas tomber dans la germanophobie et les  exactions dont est victime la famille allemande de la ville ne sont  pas passées sous silence. Le film de Jan Matthys fait un effort louable pour présenter un univers humain bilingue ce qui rend honneur à la diversité culturelle de la Belgique.

 14, Des armes et des mots, signé par Jan Peter est une touchante coproduction française, allemande, canadienne et slovène. Cette série  s’appuie sur les journaux personnels de  quatorze témoins, ayant vu leurs vies  bouleversée par la guerre. Le film associe fiction et images d’archives. Dommage que seulement le premier épisode ait été présenté. « 14-18, refuser la guerre » de Georgette Cuvelier est un documentaire que raconte la guerre en donnant la parole à ceux qui s’y sont opposés. On y retrouve  non seulement des  noms connus  comme  Jean Jaurès, Romain Rolland, Siegfried Sassoon  ou encore  Bertrand Russell mais aussi d  simples soldats, protagonistes du refus de la guerre et de la conscription.

Venant d’une réalisatrice, le film de Georgette Cuvelier apporte un élément nouveau et  inattendu :  celui critique et sans complaisance des fameuses suffragettes qui ont souvent  choisi la collaboration avec les bellicistes en échange de leur reconnaissance politique.  Cet te série devrait être un outil didactique pour tous les pays qui se disent européens parce qu’elle permet de comprendre les voix  à contre courant dans l’ensemble du continent au moment de  cette tragédie. Mais surtout, il est fondamentale que les nouvelles générations sachent que lors les jours de Noel 1914, le deux tiers du front anglo-allemand ont fraternisé ; que pendant la  offensive meurtrière des Chemin des Dames,  les deux tiers des régiments d’infanterie française se sont mutinés, comme l’a fait la marine allemande plus tard et qu’un million de soldats russes et allemands ont déserté. ce sont là des chiffres éloquents qui illustrent au -delà des frontières  la diversité du refus de la guerre.

Voilà un devoir de mémoire  capital des nos jours où les tambours de guerre du vieux continent ont avoir recommencé à résonner, de la Lybie à la Syrie en passant par la Mali.

FIPA 2014 : entre exil et migration, le rêve et les désillusions

Roberto Scarcia

tibetL’une des spécificités du Fipa est que chaque année des jeunes d’Europe sont sélectionnés pour composer le Jury. Initiative fort intéressante parce que cela permet de comprendre ce qui parle aux jeunes. Cette 27e édition du Fipa a vu ce jury des jeunes se prononcer pour Bringing Tibet Home, un reportage de Tenzing Tsetan Choklay qui raconte l’histoire de l’artiste tibétain exilé à New York Tenzing Rigdol et de son idée de réunir au sens propre les Tibétains en exil en Inde à leur terre du Tibet. L’artiste exilé parvient  donc à introduire clandestinement en Inde 20 tonnes de terre tibétaine. Le film suit donc l’Odyssée de la terre tibétaine du passage de la frontière du Tibet occupé au Népal dans des sacs en plastique portés sur les épaules jusqu’à l’arrivée en camion à Dharmsala en Inde, résidence du Dalai Lama. Le réalisateur a dit qu’il voulait raconter la souffrance des tibétains en exil et, détail éloquent, il a signalé avoir été interviewé aussi par la télé chinoise et a souligné que le régime chinois n’a pas réagi à la sortie du film. Mais l’œuvre de Tsetan Choklay est aussi un hommage à l’artiste Rigdol, peut être le plus connu des peintres tibétains en exil. Ce qui nous interpelle est le fait que les jeunes ont été touchés par la souffrance des exilés et leur recherche d’établir un contact avec leur pays d’origine.

De la recherche du pays d’origine à la recherche de l’histoire du père.La Révolution, mon père et moiest un film d’Ufuk Emiroglu une réalisatrice turco-suisse qui part à la recherche de l’histoire de son père, un ancien combattant engagé dans un processus révolutionnaire en Turquie des années 70 qui fini réfugié en Suisse avec sa femme et sa fille, la réalisatrice. Tout au long du film, on voit jusqu’à quel point la fille immigré a besoin de comprendre l’histoire du père pour entendre sa propre identité, un rappel cinématographique en forme de documentaire où passé et présent ne sont pas des compartiments séparés. Le voyage en Turquie de la jeune turco-suisse est marqué par le contraste entre ses mémoires des histoires du combat révolutionnaire du père et la réalité contemporaine du pays : la plage de la ville d’Antalya où le père clandestin se baignait pour se laver, en ne laissant jamais ses armes, est aujourd’hui privatisée à l’usage des touristes ; l’usine des textiles jadis théâtre des grèves héroïques est  fermée, la production ayant été  transférée en Asie orientale…

Mais ce documentaire offre aussi un regard sur la fille immigrée qui veut s’intégrer dans le pays d’accueil et ainsi se retrouve à être plus royaliste que le roi, ou plus suisse des suisses de souche. « Alors que mes amis voulaient imiter les Américains pour être Américains, moi je voulais être Heidi la petite suisse… » dit elle.

Et voilà le revers de la médaille révélé. L’identité immigré se nourrit autant de recherche des racines d’origine que de volonté d’appartenance au pays d’immigration et dans les deux cas se retrouve confronté à un décalage de fond. D’une part, la Turquie contemporaine n’est plus la terre des combats du père, de l’autre la turque qui veut être suisse se retrouve avec des Suisses qui veulent être américains!  Ni l’une chose ni l’autre donc…. Décalage par rapport au vieux pays et au nouveau. Ce que nous retenons de cette histoire est le défi de tourner ce décalage en atout.

FIPA 2014: Israël, la mémoire et ses démons

Roberto Scarcia 

farwell« Il est maintenant temps de faire le point : 80 films en tant qu’acteur, 16 films en tant que réalisateur, 9 oscars, 4 mariages, 3 tentatives de suicide, 3 ans en hôpital psychiatrique, un corps qui pèse 130 kilos… un père avec un seul œil… » Avec ces mots commence Hashayim Keshmua, ou La vie comme une rumeur (Life as a rumor), le documentaire sur la vie d’Assi Dayan, le fils de Moshe.

La voix rauque, le ton blasé, tabac et cocaïne obligent, le fils du guerrier sioniste raconte sa vie. Né en 45, Assi Dayan m’a accompagné le long  des montagnes russes de sa vie. Il m’a dit « d’avoir été élevé par sa nounou Simcha qui lui racontait les histoires d’Ali Baba qu’elle entendait sur… Radio Bagdad ». Il m’a raconté « qu’enfant il cherchait  l’œil perdu de son père sous le bandeau noir », il m’a révèlé « qu’il s’a fugué adolescent à Chypre, qu’il s’est barré durant son service  militaire et  toute l’armée d’Israël s’est  mobilisé pour le chercher lui, le fils de Moshe Dayan », il chronique ses fait d’armes, ses idées, ses amours et tous ses vices, le tout comme  l’arche de Noë  dans le déluge d’Israël. Il m’a parlé d’une « aventure pirate » et « du désespoir tourné en idéologie ».

La vie du fils de Moshe Dayan n’est pas seulement la chronique d’une relation d’amour et de haine, du fils vis-à-vis son père, mais aussi une métaphore brutale et sans complaisances de la société israëlienne. Les derniers mots avant la fin m’ont touché comme un coup de poignard : « je joue le rôle d’un psychologue qui se fait payer par ses clients pour les conseiller de sauter par la fenêtre et  qui à la fin il se suicide… Mais moi je fais semblant d’être mort couvert de sang, je  suis encore vivant me vautrant dans le ketchup ». Difficile de faire le point à mon tour sur ce courageux chef d’œuvre d’Adi Arbel et Moish Goldberg . Toute  comparaison est nécessairement boiteuse. Que chacun aille le voir et se fasse sa propre idée.. S’il y a bien un film qu’il est nécessaire d’aller voir, c’est bien celui-ci. 

« Je pars chez moi (home)» dit la fille. « Chez toi ?  Dans cette pitoyable diaspora ? » demande le père. « Elle se sent chez elle en Allemagne » répond la mère. « Elle n’a rien en commun avec l’histoire allemande », rétorque le père. « Ce n’est pas important, elle a une patrie (homeland) » dit la mère. « Ce n’est pas une patrie, c’est un simple lieu de résidence » insiste le père. Ce dialogue crucial à trois sur le thème de la patrie et de l’appartenance se fait en hébreu et donne le ton de Schnee von Gestern (Farewell Herr Schwartz ou Adieu M Schwartz) une production allemande réalisé par l’israélienne Yael Reuveny. La réalisatrice part à la recherche de Feivke un grand oncle donné par mort en 1945 qui refait surface sous le nom de Peter en Allemagne de l’est où il meurt en 1987. Michla, la grand-mère de Yael Reuveny devait rencontrer son frère à la gare de Lodz après la guerre, mais dans la salle des pas perdus, les deux rescapés de la Shoah ne se sont pas trouvés et chacun a fait en solitude ses choix de vie et de pays, elle en Israël, lui en Allemagne. Cet adieu à l’oncle Peter jadis Feivke est un voyage initiatique qui embarque deux familles et trois générations. Le film creuse dans les plaies du traumatisme des journées signés par le silence et des nuits marqués par les cris des cauchemars, de la « maudite terre allemande », des photos évoquant et amour et haine, de l’effort d’essayer de comprendre. Peu importe si le jeun cousin allemand retrouvé de la réalisatrice ne soit pas à mon avis à l’hauteur intellectuelle de sa cousine israélienne. Le film est fort et profond. Dommage que la grand-mère et le grand-oncle de Yael Reuveny soient décédés avant la fin du film. 

J’ai écrit cette série de chroniques à la première personne ; ce n’est pas rien . Pourquoi ? Parce que ces deux films, sous le signe de l’étoile de David, sont, chacun à leur manière les meilleurs films que j’ai pu voir à Biarritz : ils m’ont bouleversé et ont transformé mes émotions ; soudain je me suis retrouvé comme un enfant dans le vertige des montagnes russes, Cependant l’un et l’autre font l’impasse sur un fait à mes yeux grave et qui aurait du pourtant interpeller les réalisateurs. C’est l’absence criante de toute référence à la souffrance des Palestiniens. Comme liberté, la  douleur ou plus précisément la mémoire de la souffrance des Israéliens s’arrête là où commence celle des Palestiniens. C’est pourquoi la souffrance de ces derniers constitue la mesure morale des Israéliens. A quoi bon explorer la douleur  passée si on n’est pas en mesure de comprendre celle que l’on inflige à ses voisins les plus proches. C’est une question d’éthique.  Certes ont prétextera que “ce n’était pas là le sujet”; que l’on “peut pas tout aborder”  et que ce n’est pas aux Israéliens de parler de Palestiniens !  Mais alors à quoi bon le courage, l’hauteur de l’espoir, les abîmes du désespoir, l’épaisseur artistique, la sincérité et « tutti quanti »…

 

FIPA : Le Congo dans tous ses états

Roberto Scarcia01

Congo Business Case  réalisé par le néerlandais Hans Bouma, le gagnant du Fipa d’or des Grands reportages, est exemplaire de ces bons sentiments que nourrit l’Occident à l’égard de l’Afrique. Ce reportage raconte l’histoire réelle de Daniel, un jeune hollandais qui part au Congo désillusionné par la façon  dont  se comportent  ces grandes ONGs   comme la FAO, l’organisation des Nations Unies contre la faim   dont il fut d’ailleurs salarié.

Daniel en a marre « de voir les  légumes  pourrir dans les champs alors qu’a moins de 200 kilomètres, en ville  les gens crèvent de faim ». Il part donc en Afrique la fleur au fusil pour lancer une entreprise qui ferait le lien entre  la campagnes et la  ville : il achète du manioc, la transforme en farine et la vend au marché de la capitale. Mais les problèmes pratiques et d’ordre culturel s’accumulent et Daniel est forcé d’abandonner le projet. « T’es l’un des quinze fils d’une femme congolaise émaciée, t’es l’un des six choisis entre 300 demandeurs d’emploi, et tu te mets en grève… » dit-il en exprimant son amertume. Ces deux phrases entre guillemets prononcées par le protagoniste résument le film : les bonnes intentions et la dure réalité des faits.

Si d’une part Congo Business Case est une histoire typique d’un jeune qui veut sincèrement changer les choses dans « les pays pauvres »,et ceci avec une franchise  dépourvu de ce narcissisme mal déguisé qui marque souvent ce genre d’aventures, il y a d’autre part quelque chose de nouveau ou plutôt de  curieusement familier  pour nous occidentaux dans ce film. Le jeune blanc qui part monter son business dans le sud ressemble curieusement  à nos anciens colons partis faire fortune dans les colonies. Voilà pourquoi, au delà des mots de convenance, ce film a plu autant. Pourquoi le nier, on assiste à un  retour manifeste  de l’esprit colonial en Europe  qui se cache sous la feuille de figuier de l’humanitaire.  Congo Business Case va dans le sens de l’histoire qu’on est en train d’écrire aujourd’hui.

La seconde raison du succès de ce film est linguistique : chauvinisme culturel aidant, un jury de France ne pouvait pas rester indifférent à un film où pour une fois le français et non pas l’anglais est la lingua franca entre un européen et des africains.

Le succès de Congo Business à Biarritz nous force à parler d’un autre grand reportage du même genre. AIDependance, est un film belge réalisé  par Alice Smeets et Frederick Biegmann  et qui dénonce justement la façon d’agir des ONG à Haïti. AIDependance, la dépendance de l’aide extérieure nous démonte  de façon minutieuse le mécanismes par lequel les Organisations Non Gouvernementales  détruisent le tissus  social local et, comme le dit une femme haïtienne avec désespoir «réduit les pauvres à des camés et l’aide étrangère à de la cocaïne ».  En même temps, ce film suit les traces d’un couple, Robi le haïtien et Sabina l’américaine  qui  vont dans  les endroits les plus difficiles de l’île et proposent  un exemple différent d’aide aux plus démunis.

Malgré leur différence,Congo Business et AIDependance  envoie le même message que l’on peut traduire ainsi  : pour être efficaces, les actions humanitaires  internationales doivent être conduites sous direction locale, par des gens du lieu, autrement c’est une mission impossible vouée au désastre.