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Désert blanc  (II)

Par Karim Moutarrif

Les salles de classes en préfabriqué, avec un poêle au fond et le stock de charbon dans la cour.

Les encriers et l’encre offerte par le gouvernement.

La bouteille et son bec verseur. Et la dictature du maître.

L’école des garçons séparée de celle des filles par un haut mur.

Et le nom de ce maudit ministre qui avait donné la connais­sance aux siens et la domination de la race supérieure sur l’ensemble de l’Afrique au même moment, gravé sur le fronton de l’édifice.

Son nom était sur toutes les bâtisses de ce genre   construites à travers le pays.

Dans ce temps là, la propagande de la révolution avait be­soin d’édifier la machine à modéliser des citoyens, disait son vieux prof un peu, beaucoup à gauche.

Je ne savais pas tout ça quand j’étais petit.

Plus au fond de la campagne, il avait connu aussi les écoles sans noms. Celles installées à la hâte dans des anciennes fermes.

Il fallait marcher à travers les labours pour y accéder.

Ils se retrouvaient en bande sur la route. Une espèce de ca­ravane, chargés comme des mulets de sacs d’école bourrés de cahiers et de livres, plus le casse-croûte.

Dans l’unique salle de classe tout le cours primaire était as­séné.

Les gamins de différents âges étaient regroupés selon la classe.

Les cancres étaient stationnés au fond, c’est vrai, ignorés des autres.

 Plus de rivière, plus de roseaux.

Ils avaient tout aplani, rasé les fermettes, et derrière, sur un fond de campagne, taillés à la serpe et à l’équerre, on voyait se détacher, comme dessinés sur le plan, l’autoroute et son péage.

 Adieu veaux, vaches et fromages.

 J’ai continué à marcher pour revoir l’épicerie cantine et la ferme où j’allais chercher le lait de la vache que la fermière trayait devant moi.

L’épicerie avait dû fermer depuis plusieurs années. L’état de décrépitude en témoignait.

Elle était ridiculement petite par rapport à l’image que j’en avais gardé.

La ferme est devenue une fermette, et dans le pacage il n’y avait plus de trace de mammifères depuis longtemps.

Le petit vallon sympathique avait été démantelé, il ne res­tait plus que les fantômes.

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À des milliers de kilomètres de là, c’est vrai qu’il y avait une rivière.

Mais dans le fond c’était encore une image déformée de l’enfance

Elle avait été asséchée.

En fait il n’est jamais bon de se retourner, de revisiter le passé.

On y froisse ses illusions.

Dans ces moments de vertige, où rien ne sert de rse repèrer.

Quand l’amour n’est plus.

Le rêve cassé.

 

Cette rivière je l’entendrais, trente plus tard.

Elle fut le déclencheur.

C’est le bruit de l’eau qui m’a emporté très loin derrière.

Dans un bois canadien, chez un ami.

Surtout le bruit de l’eau.

Et dans mon désespoir, je me suis réfugié sur le bord de la rivière de mon enfance.

Les grenouilles jouaient une symphonie de leur chant nup­tial.

Par une nuit d’été.

Quand une multitude de fleurettes toutes plus belles les unes que les autres font une brève apparition, tapissant un parterre de verdure, éclairé par la lune.

Et l’envie de rêvasser dans ce magnifique tableau.

La rivière en arrière et le bois au fond, au milieu des bruits mystérieux de la forêt.

C’est de là que je venais avant de te rencontrer.

L’odeur du café chatouillait les narines, la maisonnée s’éveillait tranquillement.

La relâche était perceptible dans l’air

C’était samedi, journée des petites annonces.

Ils recevront des montagnes de curriculum vitae.

Ils choisiront tranquillement sur les milliers.

Il souriait devant les définitions de poste comme ils disent.

Les jobs étaient de plus en plus bizarres.

Il y en avait de moins en moins et en fond sonore, on en­tendait le bruit du vent dans le feuillage des arbres.

De sa fenêtre il pouvait voir un océan de verdure.

C’était le grand show de l’été.

Il n’y avait plus qu’un petit bout de ciel, les feuilles avaient tout envahi.

Il n’y avait que ça de vrai dans le fond.

Le reste n’était qu’artifice.

Le réveil de la nature était à chaque fois une leçon.

Dire que, quand l’hiver les plumait de ses blizzards, ces mêmes arbres semblaient morts à jamais.

Vont-ils fleurir et faire pousser des feuilles comme l’année dernière?

Verra-t-on les bourgeons pointer?

Jusqu’aux dernières provocations des éléments, c’est tou­jours la grande attente.

Puis un matin en sortant, le miracle s’est produit.

La nuit a porté la vie et au jour, une multitude de petites pousses sont apparues sur les branches.

Pendant ce temps je marche dans la tempête, c’est halluci­nant.

La neige avait tout confondu de son immense manteau blanc.

La ville n’avait plus de sens.

Les voitures étaient anéanties, le bitume enterré.

Et je rêve que ça le reste pour toujours

Je suis tout seul dans le paisible tourbillon de neige,

La ville n’existe plus, elle est irréelle.

Je suis un nomade dans le désert blanc.

Je marche dans une matière friable, fragile dans laquelle je m’enfonce.

J’entends le doux  crissement de mes pas dans la neige fraîche. Je marche sur un parterre immaculé, d’une blan­cheur extraordinaire.

Et je pense à toi.

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Les halos de lumière des réverbères font miroiter les flo­cons de coton suspendus qui se déposent doucement, sur mon chapeau, sur mon manteau dans les moindres replis du tissu.

Mon image devient floue et peut-être que je serais effacé de l’image.

Que je disparaîtrais dans le blanc.

C’est vrai que le journal du samedi devait coûter un tronc d’arbre par numéro, facile.

La fin de la lecture était assez tumultueuse.

Il regrettait toujours, une fois le torchon secoué, d’avoir mis autant d’argent dedans.

Mais chaque samedi, il se faisait une petite gâterie: il ache­tait un tronc d’arbre pour le jeter dans le bac de récupéra­tion, une fois écoeuré.

Il était mal à l’aise, avait l’esprit ailleurs.

Je savais déjà que tu me prenais pour un raté.

Tu m’avais dit que je n’étais qu’un pauvre type.

C’est pour ça que j’étais reparti revisiter ma vie.

Depuis la première fois où tu me l’as dit.

Pour comprendre comment se fabriquait un pauvre type.

Les années avaient usé l’amour et je n’avais, pas plus que toi, de contrôle sur ces choses là.

Il avait apporté dans ses bagages tous ses souvenirs et très peu d’effets.

Il les avait posés dans un coin du patio à l’abri de la circu­lation, sur le zellij aux couleurs de la Méditerranée.

Il imagina des valises en carton, en bon immigrant de re­tour au pays.

Parfum bon marché et cravate en sus.

Ce qui le ramenait sur ses pas était un rendez-vous très particulier.

Dans un cimetière pour pauvres où la plupart des tombes étaient de terre.

Un décor dénué de fioritures.

Le décor des humbles que l’histoire oublie.

Le taxi l’avait déposé loin là-bas, sur le bord de la route.

Pendant le parcours il avait mesuré les changements.

Il était parti de la Ville des corsaires, en longeant la côte vers le sud.

Il avait traversé le fleuve sur une barque, pris un taxi col­lectif jusqu’à la limite de la ville, puis avait fini par pendre un taxi à lui tout seul.

Il avait longé les murailles de torchis de l’enceinte “pré-co­loniale ” de la ville, comme ils disent dans les bouquins d’experts.

Il avait été surpris par la densité, le nombre de piétons, le bruit.

C’était en fin de journée.

Dieu que j’avais perdu l’habitude, j’aurais du le savoir

Ici aussi, ils bitumaient, rasaient des quartiers, défonçaient des cimetières.

Le sol était réquisitionné pour la rareté.

Ailleurs on parlait de qualité de la vie, de trou dans la couche d’ozone, du cancer provoqué par le tabac, etc.

Il n’y avait pas beaucoup d’arbres dans le décor

La ville minérale, vorace comme une tornade balayait tout sur des dizaines de kilomètres.

Non ce n’est pas San Francisco, mais si ça continue, ils feront plus fort que San Francisco, ce sera un pays minéral.

Mélangé à l’exode rural, à la pauvreté, à l’entassement…, à l’absence de moyens.

Je me souviens de dépotoirs à ciel ouvert, entre les hommes et la mer.

J’avais appris plus tard, à l’école que c’était à l’opposé de ce qu’il fallait faire. Mais mes livres n’avaient pas vu la misère et les enfants jouaient dedans au soleil couchant.

L’aridité donnait des traits ascétiques au paysage.

A beaucoup d’endroits le sol avait été emporté et depuis des décennies plus rien n’y pousse.

Une croûte que même les orages violents ne défont plus.

Ça lui était brutalement revenu à l’esprit.

J’ai marché de la route jusqu’au royaume du silence,

J’ai foulé la poussière rouge jusqu’à l’emplacement.

De toute façon je marchais sur mes espoirs comme j’aurais claqué du talon sur un macadam luisant. La nuit, sous la lumière maussade des réverbères.

Dans le partage des pouvoirs de l’ombre entre deux lampa­daires.

La vie peut être vue à travers ces petites choses absurdes, incongrues.

Dans une lecture parallèle tout à fait plausible.

Rien ne l’interdisait.

Debout devant l’endroit où il ne devait plus y avoir qu’un engrais, fixant la pierre tombale, il se mit à parler en fran­çais dans un cimetière musulman.

L’épitaphe de marbre avait perdu ses caractères arabes.

Une très belle écriture calligraphique, noire jadis, sculptée dans le marbre.

Il jeta un regard circulaire pour s’assurer de leur intimité et s’entendit dire:

 Ça fait bien longtemps que je ne t’ai pas rendu visite, je te boudais maman, je te boudais Mnaya et maintenant je re­viens à toi, plus âgé que toi avec toujours la même frustra­tion de ne plus te revoir.

C’est ça la mort vue par les vivants.

Je suis venu te dire que je t’admirais.

Je suis venu te dire que je suis toi.

 Il se disait en lui-même que cette espèce de rite païen était absurde, mais c’était plus fort que lui.

Il n’aurait supporté aucune intrusion. Ni la moindre ingé­rence dans la mise en scène.

C’était à lui, ça lui appartenait tout seul et personne au monde n’aurait pu remettre en question cette exclusivité.

Aucun rationalisme ne pouvait la balayer.

De toute façon, il avait choisi la discrétion pour n’interférer dans l’existence de personne.

Un cimetière au crépuscule, c’est rarement fréquenté.

Et le reste fut laissé à l’océan.

Très peu de personnes venaient se recueillir sur cette tombe.

La mort emporte dans l’oubli.

Je trouve le dessin de Charlie Hebdo sur le tremblement de terre en Italie dégueulasse, méchant, etc. Mais…

Giuseppe A. Samonà

Quand quelques amis, à l’unisson avec la presse quasiment unanime, s’insurgent indignés, faisant remarquer  que ce dessin ne fait pas rire, une question me vient à l’esprit : et pourquoi donc devrait-il faire rire? La satire ne doit pas être confondue avec l’humour, elle ne fait pas rire, ou plus exactement elle peut faire rire, mais ce n’est pas son objectif. Elle doit provoquer, heurter, faire preuve parfois de « méchanceté », voire même être « dégueulasse », pour susciter une réflexion politique et sociale. Ni Dante – qui en fait abondamment usage, et dont on a dit et répété que sa manière de parler de Mahomet faisait pâlir, par sa violence, les fameuses vignettes de Charlie Hebdo– ni Voltaire, auteur satirique s’il en est, n’ont jamais fait rire personne. Cela dit, on peut aimer la satire ou ne pas l’aimer : moi par exemple je ne l’aime pas,  ou pour mieux dire, je ne l’aime pas quand elle est utilisée de manière exclusive, comme si elle était à elle seule un moyen pour comprendre et raconter le monde : d’ailleurs, je ne suis pas un lecteur de Charlie Hebdo et n’ai que très rarement apprécié ses dessins… Mais on ne peut pas demander à ce journal d’être ce qu’il n’est pas.

Les mêmes amis, et la même presse, ajoutent encore plus indignés : non content de tourner les victimes en dérision, ce dessin reprend des stéréotypes lourdement racistes et xénophobes… Là encore, on doit s’interroger. Les journalistes de Charlie Hebdo, de par leur histoire, leur appartenance culturelle, leur orientation politique, manient la dérision – y compris en utilisant les morts – avec désinvolture et souvent une certaine obscénité, mais c’est sur les meurtriers, les bourreaux, et non sur les victimes, que portent leurs sarcasmes: est-il possible qu’en cette occasion ils aient dérogé à leur vocation atavique ? Et surtout que des intellectuels cultivés et raffinés aient repris à leur compte un grossier cliché raciste, vieux de presque cent ans, qui n’a plus cours même parmi les plus rustres et les moins instruits ?  Non, seule une totale méconnaissance des mécanismes de la satire caractéristiques de Charlie Hebdo pouvait attribuer à ces journalistes une telle intention. Si on analyse le dessin à l’intérieur de Charlie Hebdo – les journaux qui ont lancé la polémique l’ont présenté sans rien, hors contexte, en partie tronqué – en s’appuyant aussi sur les nombreuses interventions dans les réseaux sociaux de ceux qui, contrairement à la presse officielle, l’ont compris et ont pris sa défense (parmi les plus significatives, voir l’article publié dans Gli Stati Generali,  et la discussion qui s’en est suivie; ou les prises de position de Sabina Guzzanti, ou encore Roberto Saviano,  on comprend que le dessinateur ne s’en prend pas aux victimes, mais à ceux qui ont construit les maisons ou les ont laissé construire d’une certaine manière, en contournant, ou en négligeant les critères qui s’imposent de manière impérative dans une zone à risque sismique élevé – l’exhibition du corps des victimes permet seulement, ni plus ni moins qu’une photographie,  de constater un fait: si on construit des maisons avec du sable au lieu de ciment (penne gratinées), elles s’écroulent sur leurs habitants, les réduisant à l’état de viande hachée bonne à faire des lasagne, dont se nourrissent aussi ceux qui profitent de la  reconstruction pour s’enrichir cyniquement et malhonnêtement, comme cela s’est passé à l’Aquila. Bref, ce dessin, de manière provocatrice, veut dénoncer un scandale: ce n’est  pas  le tremblement de terre mais l’Italie, le système Italie, qui a causé tous ces morts et tous ces blessés; les morts ne sont pas morts du tremblement de terre mais de l’Italie. Du système Italie. Simplification, raccourci, slogan ? Certainement. Néanmoins, il n’est pas moins sûr que, comme le souligne Norma Rangeri dans le Manifesto du 25.08,  « Aucun pays industrialisé, présentant un risque sismique très élévé comme le nôtre, n’est pulvérisé chaque fois que la terre tremble. » (Et moi j’aurais envie d’ajouter : … avec une magnitude ne dépassant pas 6 degrés). A noter, pour corroborer cette interprétation, la phrase qu’on peut lire un peu plus loin plus loin dans Charlie Hebdo sous la rubrique “Les couvertures auxquelles vous avez échappé” : « On ne sait pas si le trem­ble­ment de terre a crié ‘Allah U Akbar’ au moment de se produire ». Référence claire à L’ennemi d’aujourd’hui, bouc émissaire par excellence – et ce sont les journalistes que cet ennemi a si durement frappés qui se moquent de cela ! –  que l’on charge aujourd’hui de tous les maux dont souffre la société. Quant à l’image de la « pasta », son usage raciste (les macaronis d’antan) est devenu une antiquité poussiéreuse, digne d’un « Musée de l’insulte xénophobe»; il est difficile de penser qu’elle a pu être utilisée au premier degré, avec l’intention d’injurier.  Il ne reste, au second degré, que son évidente  capacité à  représenter immédiatement l’Italie, un peu comme le camembert pourrait représenter la France. A ce propos, une dernière remarque : Charlie Hebdo se moque de tout, il ne connaît ni limites ni frontières, il semble prendre un plaisir presque sadique à frapper les personnes et les idées aux endroits les plus sensibles, France comprise, et c’est pourquoi un grand nombre de Français ne le supportent pas et ne perdent pas une occasion de l’attaquer ; de toutes les accusations dont Charlie Hebdo a été l’objet, celle de chauvinisme  est vraiment la plus injuste et la moins fondée.

Le dessin t’a donc plu? demandent les indignés… Non, mais s’il me déplaît, c’est pour d’autres raisons. Outre le fait que la satire comme vision du monde n’est pas ma tasse de thé, c’est en général l’exhibition de la douleur et du corps des victimes qui me pose problème, eût-elle pour objectif de dénoncer le meurtrier. De ce procédé, Charlie Hebdo fait un usage immodéré et volontairement de mauvais goût, souvent crypté (c’est le cas ici) et incompréhensible pour qui n’est pas un exégète confirmé du journal ; le public non averti, à commencer par les victimes elles-mêmes, ne peut y voir qu’une grossière atteinte à la dignité des morts et des blessés, si bien que le dessin finit par produire un effet opposé à celui qui était visé. D’ailleurs, à propos de ce même événement, le dessin scandaleux de Felix a été suivi par un dessin de Coco qui se présente comme une clarification provocatrice face au tollé général suscité en Italie par le premier : “Italiens, ce n’est pas Charlie Hebdo qui construit vos maisons, c’est la mafia”. Certains diront : qui n’aime pas ce genre de satire, n’a qu’à ne pas acheter le journal. C’était juste dans les années 70 et suivantes, ce ne l’est plus aujourd’hui : pour peu qu’il y ait un intérêt à créer un « cas », n’importe quelle image est instantanément diffusée aux quatre coins du globe, y compris auprès de ceux qui n’achètent pas le journal. D’ailleurs Charlie Hebdo a bien conscience de cette possibilité de manipulation et s’en sert, ne serait-ce que pour se faire de la publicité. Il y a en somme un grand décalage entre les intentions, qui circulent et sont comprises dans un public restreint, et le résultat, qui finit par s’adresser au grand nombre et tombe, comme un excrément mal ciblé, à côté de la cuvette (… fuori dal vaso, vieux dicton populaire italien). C’est pourquoi on peut dire que cette satire échoue à faire réfléchir (car on ne peut appeler «  réflexion », ou du moins pas dans le sens recherché par le dessin, le concert de vociférations qui s’est déchaîné, ni même le besoin de discussion qui s’est manifesté aussi à ViceVersa…), et qu’elle a manqué son but. Dans l’ordre de la satire, en effet, quand on passe de l’écriture à un dessin, potentiellement accessible à tous, il faudrait, justement pour cette raison, être beaucoup plus incisif, avoir bien plus de finesse et de capacité à franchir les frontières: Altan ou Philippe Geluck possèdent cette vocation à l’universalité et racontent un monde, les dessins de Charlie Hebdo, non (du moins à notre avis) ; ils ne sont compréhensibles qu’à l’intérieur d’un cercle restreint de d’initiés. Sans renoncer à l’incontournable (pour Charlie Hebdo) effet macabre, n’aurait-il pas été plus efficace, pour faire passer le message, d’introduire au milieu des décombres quelques politiciens ou entrepreneurs du bâtiment? En ce sens, les occasions d’inspiration en Italie ne manquent pas …

La chose toutefois la plus ahurissante, pour moi (et c’est ce qui est à l’origine de ces lignes), est l’extraordinaire vague d’indignation collective – celle-ci, oui, teintée d’un certain chauvinisme – qui a rassemblé l’Italie contre l’infâme dessin, à l’intérieur et hors des institutions : de la droite fasciste de Forza Nuova, qui regrette que “nous ne les ayons pas tous tués, ces salauds de Français”, à la gauche du Manifesto (03.09.16), qui, dans un article étonnement superficiel, et embarrassant, de Tommaso di Francesco, conclut que « l’arrogance et le mauvais goût restent d’ insupportables spécificités françaises ». Je ne suis plus Charlie : ainsi se sont insurgées de nombreuses personnes qui avaient fait leur le célèbre slogan apparu il y a un peu plus d’un an; ils doivent s’excuser, affirment d’autres, le dessin doit être publiquement condamné (et l’ambassade de France de déclarer que « le dessin ne représente pas la position officielle de la France » !!!) ; les dessinateurs doivent être mis au pilori, on en est même arrivé à une véritable dénonciation au Tribunal par le maire d’Amatrice – et cela sans parler des menaces de mort visant les journalistes et des horreurs qui foisonnent à leur sujet sur le web. Aux repentis du Je suis Charlie, moi (qui n’ai jamais adhéré au fameux slogan mais défendrai toujours l’existence de Charlie et le droit de dessiner « satiriquement »), voudrais rappeler  que ce dessin n’est pas meilleur ni pire  que beaucoup d’autres du même genre – et même il y en a eu de plus vulgaires, de plus insultants et de plus révoltants : ceux par exemple qui s’  « inspirent » des victimes du génocide au Rwanda, ou des enfants syriens morts en traversant la Méditerranée, ou encore, pour rester dans le même sujet, du tremblement de terre en Haïti. Certes, tous ces dessins ont donné lieu à l’époque à des protestations – pas en Italie, toutefois–, mais jamais à une tempête comparable à celle qui vient de se déchainer en Italie, justement : au moins en ce sens-là il s’agit bien d’une affaire italienne.

Entendons-nous bien. Une chose est la douleur en elle-même, celle des victimes et de  ceux qui se sont sentis offensés par ce dessin : devant la douleur des autres on ne peut ni ne doit porter aucun jugement, on ne peut que témoigner silencieusement sa sympathie et sa solidarité. Autre chose en revanche est l’élaboration intellectuelle de cette douleur ; la fabrique de l’indignation collective, les initiatives qui s’en suivent, le recours à des termes comme “honneur” et “outrage”, tout cela suscite une certaine perplexité…  Il est difficile de ne pas penser (mutatis mutandis) aux réactions provoquées dans le monde musulman par les dessins (mauvais eux aussi!) sur le Prophète. Un mauvais dessin touche à quelque chose de sacré (ici le Prophète, là les morts), déchaînant un ouragan collectif disproportionné du point de vue rationnel, mais compréhensible, « proportionné » d’un point de vue religieux, qui considère ce qui est sacré comme intouchable, et les images comme  étant en elles-mêmes dotées de pouvoir. C’est là- dessus qu’il faudrait réfléchir, plus que sur un mauvais dessin qui ne mérite pas tant d’attention. Il faudrait aussi s’interroger sur un curieux déplacement politique. Au lieu de s’en prendre aux choses elles-mêmes, on s’en prend à la représentation des choses ; la fureur collective s’est acharnée sur un médiocre dessin en se détournant de la  réalité dénoncée par ce dessin: de ceux qui, par leurs malversations, leur corruption, leur indifférence, leurs investissements absurdes ou frauduleux, sont responsables, du moins en partie, des désastres environnementaux qui s’abattent régulièrement sur l’Italie.

 

 

EUROPE. Satire? Dazibao sur Charlie Hebdo

Une caricature de “Charlie Hebdo” scandalise l’Italie

Ainsi titre Le Point dans son site internet du 2 septembre mais on pourrait citer d’autres sites français (http://www.lepoint.fr/medias/une-caricature-de-charlie-hebdo-scandalise-l-italie-02-09-2016-2065563_260.php)

Satire ?! Scandale? Ce qui choque, au de-là de la désolante, triste stupidité de cette caricature de Charlie Hebdo sur le tremblement de terre qui a pulvérisé la ville d’Amatrice faisant 300 morts, est qu’en France on en fasse une « affaire italienne ». Comme si la douleur, la bêtise avaient des frontières nationales …Pas d’espoir pour l’Europe si, en France, les médias n’ont pas le courage de condamner cette “satire” humainement, universellement cruelle et gratuite.

Lamberto Tassinari

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Je sais plus qui je suis….

Je n’ai jamais été vraiment fasciné par le tabloïd, je le trouve de mauvais gout bien des fois mais comme Voltaire je me battrai pour qu’il ait sa place parmi les autres  média. Cependant la liberté d’expression semble porter à certains mépris de l’humain chez Charlie et une fois de plus il s’y illustre bien.

Beaucoup de choses se cachent derrière le geste de Charlie :

La catastrophe, en Italie, est « nationale », c’est ailleurs déjà, donc on peut en rire, sans limite. Je n’ose pas imaginer l’inverse et une France meurtrie par un tremblement de terre faire l’objet d’un pareil sarcasme. Je vois d’ici les boucliers se lever et les leçons de bonne conduite assenées à tout va

Les Italiens sont de la « pasta », ce qui n’est pas sans rappeler les vocables qui qualifiaient cette immigration en France, chacune ayant son appellation. Pour les Nord-Africains, c’était « bougnoul » par exemple, les Portugais, des “Portos”, les Polonais, des “Polaks”.

C’est donc une pauvre France que Charlie perpétue ainsi.

Charlie qu’on a pu prendre une foultitude de fois, la main dans le sac, franchissant cette frontière que personne ne peut lui contester au nom de la liberté d’expression

Qu’est ce qui a pris à Charlie de faire de l’humour bourré de mépris sur une tragédie humaine ?.

C’est juste incompréhensible, inqualifiable, lamentable

Karim Moutarrif

Poemas de Ramón de Elía

Los poemas que aquí se presentan del autor son de una voz que ha viajado de Buenos Aires a Montreal y Viceversa. La palabra que se va y vuelve a una  vida que ya es ajena y otra. La poesía de De Elía es un seguimiento de su prosa; letras que buscan, dudan, se encuentran consigo mismo, en este mundo que nunca es claro, ni definitivo. El viaje inesperado, la vuelta a casa, una casa que fue y es otra, como lo somos todos tras un largo viaje que no halla fin.

Israel Mota Berriozábal. Acuarela sobre papel, 1992, circa.
Israel Mota Berriozábal. Acuarela sobre papel, 1992, circa.

 

Sobre todo la sorpresa

de verme así,

tan no lo que pensé

tan otras las circunstancias

como si mis certezas hubieran

caído bajo el azote de la lavandina.

 

Y no es que la ruta elegida haya sido atroz

no es que en aquella puerta que no abrí

se escondiera el premio

no es que no haya visto lo que debería haber visto.

Avancé casi sin obstáculos

hacia este desierto que estaba allí

esperándome

cualquiera fuera el camino que tomara.

 

Aquel, atropellado, ha metido su vida en la cuneta

aquel, cauto, ha esperado la certeza que no vino.

Aquel, feliz, avanzó sabiéndose feliz cualquiera fuera el derrotero.

 

Aquel, el del espejo, creyó ser aquellos:

practicó el arrebato, el cálculo y la bonhomía

quizás asincopádamente

quizás asincrónicamente

quizás artificialmente

como quien no sabe

lo que busca

o lo que piensa

o lo que espera

 

Aquel, el del espejo,

atraviesa la vía férrea de la lógica

en un paso a nivel abandonado.

 

Israel Mota Berriozábal. Pastel sobre cartón. 1994, circa.
Israel Mota Berriozábal. Pastel sobre cartón. 1994, circa.

 

No digas que no te avisé

Sí, lo dijiste

pero no recuerdo haber comprendido

como si tu voz proviniera del horizonte

o de una fosa balconeando la nada.

 

Finalmente

uno más uno fueron dos.

Pero ya era tarde

y el tiempo lo paso

explicando esa demora

como algo razonable, inevitable

normal para un tipo como yo.

 

Principio

No es fácil confesarle a un extraño nuestros más profundos miedos. Uno arriesga o bien la sorna o bien la compasión, pero rara vez una tierna cofradía.

Uno tendería a creer que la falta se encuentra en aquel que nos escucha desde el otro lado de esa profunda fosa. Pero cuando uno recapitula y se somete al severo test de examinar estrictamente sus dichos, uno mismo siente una suerte de rechazo por aquel que abrió la boca sin importarle exhibir sus caries y su glotis. El extraño entonces es uno mismo, el que desea escapar de aquel que dice lo indecible o expone con precisión lo que todo el mundo sabe.

¿Quién  acaso no conoció o imaginó el horror? ¿Para qué explayarse con el folclor que arrastra cada uno?

Es así que uno termina por callarse.

Un joven me habla ahora, y yo soy el extraño que lo escucha. No solo no sé qué decirle sino que no sé cómo escucharlo: pretendo concentración en sus dichos cuando en realidad solo elaboro mi teatral postura. Estoy al otro lado de esa infinita fosa y él sospecha que me pierde. Todo intento de fraguar empatía colisiona con una máscara humana ya no humana. El joven sabe que me pierde; o él mismo, ya extraño de sí mismo, no concibe otro final que la distancia sin camino. Se pone de pie y nos despedimos. El joven se aleja de mí y de sí mismo. No podrá ocultar jamás que ya no es uno.

Yo, espejo del joven y del extraño que he sido, avanzo hacia una puerta cerrada que ni el amor ni el deber han sabido como abrir.

 

No sé si es consecuencia de una descomposición molecular, de una lucha de clases entre neuronas, o es fruto real de la experiencia vivida. No lo sé. Sí sé que advierto, tan claramente como un cambio de color en el ocaso, que a aquel que fui –aquel caballero medieval prefigurando la batalla– ya apenas se lo ve. A veces deambula por mi casa cargado de sueños y de nuevas energías, pero cada vez menos.

En general sonríe y se sumerge en las certezas que le da el “amarás al prójimo como a ti mismo”. Y luego vuelve a su sillón.

 

Silencio negro:

dificultad para emitir palabras

o mover la pluma,

inversión del decir en escucha,

agujero que engolfa cual estepa rusa

todo derredor iridiscente.

Caen hacia mí

una melodía-herida

una sentencia-verdad

una mentira-bella

una melodía-que-fue-herida

una sentencia-verdad-ya-perimida

una mentira-bella-aún-más-bella.

Y al fin el alba

transforma el silencio negro en simple silencio

donde no hay ni trovador ni amada

 

Si hoy me derramo

con la viscosa superfluidez del enamorado

la noche será larga y la mañana infame.

Bajo semen, lágrimas, sudor, saliva

y otros flujos con nombre o sin nombre

yace abandonada la palabra que no dije.

No dije antes ni después;

Primó entonces la cautela,

luego la razón devolvió sentido a mi silencio.

El enamorado ha aprendido a callar

a dejar caer el corazón en un abismo

a salvar el honor en la hipotética caída

a alejar lo real de esa hipotética caída.

 

 

 

 

 

Le regard de Darwin ou le périple de l’affect (III)

par Karim Moutarrif

Je me suis baigné dans la rivière, tôt le matin, dans un silence irréel, une rivière non polluée, au milieu  d’immenses galets qui avaient dû être transportés il y a bien longtemps par des glaciers d’une autre ère. Au bout du monde, un silence troublé quelquefois par un bruit de véhicule qu’on aurait voulu éradiquer de la bande son, mais surtout par les ânes, les chèvres, les chevaux et les coqs. J’avais perdu l’habitude de l’existence de ces êtres là aussi.

Un luxe dont l’Occident m’avait dépossédé, sauf dans l’immensité écrasante de l’Amérique. Et même là-bas, il fallait l’entremise de la technologie pour y accéder.

J’étais venu avec la peur du choc après une si longue absence, mais ce ne fut que continuité dans des changements notables. Ailleurs cet endroit serait dans un parc naturel. Une exclusivité délaissée.

Je savais que je reviendrais en arrière dans le temps.

Le voyage à la montagne fut une excellente occasion de se perdre. On pouvait même y faire des rencontres en dehors du temps. Un paysan, plutôt de bonne humeur, que nous avons croisé avait dit, « Si tu es bien dans ta folie pourquoi cherche tu la raison ? » Lui le montagnard, qui, selon les apparences n’avait jamais quitté le pied de la montagne, dispensait des pensées surréalistes au vent, à qui l’entendra. Un fou qui colportait les propos d’un sage.

Ciel dramatique sur la route dans une vallée — Photo #10215012

Il n’y avait pas d’horloge et le mouvement du soleil restait la seule référence. Mais ce qu’il disait était sensé et je pensais qu’il n’y avait pas de hasard, qu’il m’avait laissé un message.

Je me gardais bien de demander l’heure à mes coreligionnaires, tous très bien équipés des derniers gadgets de l’Occident, portables et autres montres synthétiques. J’avais quelques jours pour réduire l’activité cérébrale au strict minimum, pour me laisser porter par cette langueur ambiante dans laquelle personne n’exprimait quelque inquiétude que ce soit.

D’ailleurs on se sentait y glisser irrésistiblement jusqu’à l’impression que le temps s’est arrêté, que plus rien ne se passera, que jamais on pourra s’en libérer. Jusqu’à l’étouffement.

Méditer.

Il fallait que je maintienne le fil de l’écriture, trop d’événements se bousculaient à l’entrée de ma raison.

Les choses restaient toujours dans le flou, rien n’avait changé.

La prise en otage, la désagréable impossibilité de dire quoi que ce soit. La liberté déjà brimée dans les rapports intimes, avant de quitter le foyer, vous avez déjà un aperçu de ce qui se passera dehors Un mal être qui se répercute sur les autres. C’est dans ce contexte aussi que je fis ce qu’ils appellent un retour aux sources. En toile de fond il y avait la misère dans une société qui ressemblait plus à une jungle qu’à autre chose, plus qu’ailleurs. La loi du plus fort était la seule. Les plus faibles se résigneront à leur sort. La souffrance dans les visages des gens dans la rue, les trottoirs éventrés, les grosses mercedes. Dans beaucoup d’expressions, la résignation aussi. Une pyramide de petits pouvoirs qui régissaient ainsi toute une lande. Je sentis très fortement la pression virtuelle mais bienveillante que me fit Charles à l’épaule. En Angleterre, c’était crado aussi au moment de la Révolution industrielle. Ici, il n’y a jamais de révolution, jamais eu de pays. Ceux du Sud n’ont jamais rencontré ceux du Nord. C’est un mariage forcé.

Je suis venu constater que plus rien ne serait comme avant.

C’était comme attendre le facteur au bord de la route, le voir passer et vous faire dire qu’il n’y a rien pour vous.

Loin de ma fille, je la languissais. Nos discussions, nos câlins, nos promenades, nos solitudes, sa joie et sa bonne humeur, ses créations, ses projets me faisaient défaut. Heureusement qu’il y avait l’écriture pour colmater la brèche.

Ici aussi j’avais trouvé un ordinateur. Ici, j’étais « rentré au pays », loin de la France et du Canada.

De la fenêtre de la maison où je logeais je voyais la carrière qui avait été envahie il y a longtemps par des squatters devenus depuis propriétaires.

Entrée mystérieuse — Photo #55945709

« Vieux à vendre » disait la voix depuis des siècles. Il y avait encore et toujours, ces acheteurs de vieux. Chacun chantait sa chanson dans son style y ajoutant bouilloire ou théière ou ferraille. écaille écaille écaille Dans la ville des corsaires et du djihad maritime, un terme qui était très d’actualité mais sur terre cette fois.

J’étais cloîtré, quand je sortais un petit moment j’avais suffisamment d’images pour méditer le restant de la journée. Une chose était sûre, je ne pouvais plus vivre ici, j’étais une fausse note et venir le constater me soulageait pour les derniers doutes que j’avais. J’avais déjà donné douze ans de ma vie, ce qui n’était qu’une broutille.

Hier le sort du monde se jouait dans une élection, celle de l’Empereur éponyme et le monde entier attendait fébrile, l’issue : Va-t-il être bon ou méchant le prochain président ? C’était quand même dérisoire à quoi tenait le destin de l’humanité. Le lendemain, nous nous sommes relevés avec la gueule de bois. Une chose s’achevait, une autre commençait.
J’avais cherché au pif, dans ce pays où un homme ne peut pas parler à une femme sans se faire surveiller, les traces de mon passé, de mes amours impossibles. J’avais retrouvé le nom de son frère, cette blonde d’il y a 24 ans. Sa maman allait bien, elle avait les problèmes de santé de l’âge.

« J’ai gardé le foulard que tu m’avais offert et les lettres fleur bleue que tu m’écrivais. Tu es le premier garçon qui m’a embrassé. Je vis seule, je suis mieux. » C’est ce que j’ai retenu de l’échange téléphonique. Le seul que nous eûmes.

Connaissant les susceptibilités ambiantes, je me suis présenté sur la pointe des pieds mais le message est parvenu. J’étais heureux. Le ton était chaleureux au téléphone ! En fait elle ne me rappellera plus et je ne la reverrais pas comme je l’avais espéré.

Puis je me suis enquis d’une visite à l’école où j’avais été formé. Là où il n’y avait plus de traces de moi.

Tout avait changé.

J’ai pleuré devant ce désert. Vingt sept ans, toute une vie. J’ai demandé son âge à un répétiteur qui s’étonnait de ce que je faisais là avec mon badge de visiteur, dans ce territoire qui avait été le mien, dans une illusion passée,  « Vingt sept ans », je lui ai dit, « j’ai quitté quand tu es né ». Il en fut interloqué.  Une bande de lycéennes ont débouché du tunnel, j’ai vu ma dernière parmi elles, elle avait le même âge. Je me suis rendu compte pour la première fois de la fragilité de cet âge.

Brutalement j’ai revu tout ce que j’avais traversé.

Je suis ressorti comme chassé d’un monde qui n’était plus le mien, avec le sentiment d’avoir été dépossédé. Il ne restait que des fantômes, de ces armées de professeurs, de pions, de surveillants généraux qui avaient contribué à mon cheminement. A l’évidence beaucoup d’entre eux n’étaient plus de ce monde.

J’ai refait le chemin de l’écolier que j’empruntais autrefois, il ne restait que la route, tout le reste avait changé. Les villas avaient progressivement été remplacées par des immeubles. La physionomie avait été remodelée, dans un bâti sans goût ni cohérence. Le quartier avait changé, violemment.

Je vieillissais.

Sentier de la forêt au coucher du soleil — Photo #2768282

Juste écrire, des fois c’est vital. Je sentais bien que je déprimais quand je ne pouvais pas brancher cette machine dont j’étais devenu dépendant. Juste pour colmater les bleus.

Mon ami me disait qu’il chattait comme ils disent mais qu’il ne pouvait rien conserver. La machine n’autorisait pas l’opération. Il ne doit pas rester de traces de vous, c’est confidentiel. On saisit ainsi chaque fois un peu plus le sens du mot virtuel comme vivre dans un rêve. Les langues mouraient chaque jour un peu plus sous les doigts des internautes pressés de communiquer. Tous les claviers y passent. Le temps de la machine devient la référence

Quand le virus a planté ma machine et que j’ai du réinstaller tout le système, mes fichiers avaient disparus à jamais. Heureusement je les avais immortalisés sur un disque compact. Au moment où j’avais tant de choses à dire, où ce que je ressentais partait en fumée au coin d’une autre idée et la tristesse d’en faire des orphelines perdues à jamais aussi.

La chose que je notais le plus c’était cette marque des années sur les corps et tous ces morts sur la route. Je n’avais plus vingt ans.

Dans cette ville où j’avais autrefois vécu tant d’années, l’émerveillement s’était évaporé.

J’étais un bohémien de cinquante ans qui n’avait pas encore trouvé sa route. J’attendais des formalités sans le sou. Je vivais aux crochets de mon frère et de l’ami qui m’hébergeait. Je me rationnais pour ne pas abuser.

Et je repensais à ce voyage au pays des ancêtres et la squaw me disant « Tu as souffert ». « Je n’ai pas fini j’ai juste appris à le faire en silence » aurais-je du répondre mais je ne voulais pas entrer dans les détails, en rajouter.

A l’heure qu’il était j’étais seul et j’aurais voulu parler à un être exquis qui m’aurait écouté en acquiesant de la tête, en appuyant mon propos.

J’étais reparti ailleurs. Paris XIVe.

Je suis allé là-bas à cet endroit où je l’avais connue, étudiant insouciant.

Mon cœur s’est serré quand j’ai regardé à travers une ouverture du portail qui donnait sur cette cour.

Il y avait un code à composer et je ne le connaissais pas. Je ne pourrais pas aller plus loin. Ma mémoire me restitue les scènes manquantes sans mal. Elles resurgissent.  Juste devant les boîtes aux lettres qui étaient là, juste en entrant sur la droite. Moi vérifiant mon courrier et elle passant le porche avec ses courses.

C’est là que je l’avais croisée pour la première fois dans une sortie hâtive en peignoir de bain.