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Pasolini transculturel

42 ans après sa mort,  Pasolini  continue toujours d’inspirer les artistes .  Le premier numéro de Viceversa, il y a plus de 35 ans lui était dédié.  Plus récemment un hommage lui a été rendu  en France et en Italie par l’artiste français Ernest Pignon-Ernest. Un film intitulé ” Si je reviens” réalisé par le collectif Sikozel a restitué cette mémoire.  Ce film qu’accompagne une exposition de photos de Davide Cerullo aux Lilas, France,   nous a permis à nous aussi de nous souvenir.  Voici cette histoire entre Pasolini et nous.
Fulvio Caccia

P.S. L’article qui suit a été publié  dans la revue italienne OLTREOCEANO

De l’autre coté de l’Atlantique, en ce début des années 80, Pier Paolo Pasolini était déjà une figure consacrée de la scène internationale des arts et des lettres. Son assassinat en des circonstances troubles et jamais vraiment élucidées, l’avait propulsé directement au septième ciel aux côté des grands astres de la modernité: Rimbaud, Kafka, Walter Benjamin… L’attestaient l’activité éditoriale et cinématographique demeurées constantes autour de son œuvre. Traductions, hommages et rétrospectives abondaient en effet. Par conséquent, il n’avait pas eu à subir l’habituel “purgatoire” auquel sont condamnés les artistes et écrivains immédiatement après leur décès. Une autre preuve en était le roman biopic Dans la main de l’ange1 que Dominique Fernandez venait de lui consacrer. Le prix Goncourt attribué à ce roman parachevait ainsi sa panthéonisation.

L’œuvre et la figure de l’auteur de Teorema étaient donc présentes partout et il aurait été bien difficile pour le jeune intellectuel italo-canadien que j’étais de l’ignorer. J’avais découvert Pasolini comme tant d’autres par son cinéma et puis par ses positions controversées qui choquaient moins ce Québec nouvellement sécularisé que ma patrie d’origine.

Ses premiers films m’avaient beaucoup émus parce qu’ils dépeignaient la candeur d’une Italie provinciale que j’avais quittée quelques années plus tôt pour le grand rêve américain dont l’ombre portée englobait toute terre américaine. Les grandes tours HLM qui se dressent dans l’horizon de Mamma Roma, les terrains vagues que traversaient ses personnages, c’étaient les miens ! L’Italie qu’il dépeignait c’était l’Italie de ma petite enfance qui s’éveillait à cette nouvelle modernité tout pimpante et fière d’étrenner ces nouveaux atours de consommation. Comment aurais-je pu rester indifférent? D’ailleurs le cinéma italien de ces années-là était touché par cette grâce. Et Pasolini, comme ses autres amis cinéastes, en étaient les magiciens. Dire que je lui vouais un culte particulier serait inexact mais, pour moi, il représentait cette grande tradition des imagiers-penseurs qu’il revendiquait lui-même et dont l’Italie demeure si prodigue.

En imagier, il faisait le pont entre l’ancien et le nouveau. L’ancien c’était les traditions païennes revisitées par le monachisme franciscain attentif à la condition des démunis ; le nouveau c’était la revendication de liberté, porteuse de modernité pour affirmer ses singularités (homosexuel, catholique et marxiste), mais c’était aussi le côté obscur : l’omologazione, la déculturation par l’omnipuissance du marché qui réduisait tout un chacun à n’être qu’un consommateur décervelé et obéissant.

Plus que tout autre il l’a dénoncée avec une véhémence et une clairvoyance à nulle autre pareille qui en faisait une sorte de prophète étrange et fascinant. Qu’allait-t-il révéler de nous? Il était un peu cet sorte d’ange exterminateur interprété par Terence Stamp dans Teorema qui révélait aux membres d’une famille de la grande bourgeoisie milanaise leur nature profonde.

Son cinéma était profondément dérangeant mais il n’y avait aucune outrecuidance, du moins dans ses premiers films. Je serais plus réservé pour ses derniers opus que je trouvais alors trop complaisants dans cette sorte de provocation excessive. L’aspect ténébreux s’opposant ainsi à son versant lumineux. Ombre et lumière se côtoyaient en lui, mesure et démesure, Eros et Thanatos. Rarement créateur n’aura aussi bien incarné cette double attirance.

Il n’est pas étonnant qu’il ait frappé l’imagination de ses contemporains. Le Québec qui s’était éveillé depuis peu à la modernité, y fut particulièrement sensible. C’est pourquoi avant même que l’on commémore le 10e anniversaire de son décès, la Cinémathèque québécoise organisa une rétrospective de ces films que compléta un colloque d’une journée à l’Université du Québec à Montréal2. Alors comme jeune intellectuel, j’y fus convié. Et c’est dans le tout nouvel amphithéâtre Hubert-Aquin de la jeune Université du Québec à Montréal que j’y ai lu quelques vers de mon cru intitulé “Cendre de Pasolini”3. Cet hommage maladroit en vers où je paraphrasais son célèbre poème dédié à Gramsci4, étaient une manière d’affirmer mon ‘italianité’.

Mais je n’étais pas le seul. Je le partageais avec un groupe qui, comme moi, était d’origine italienne et qui allait, quelques mois plus tard, donner naissance à la revue ViceVersa. Plusieurs d’entre nous avaient également participé à cette rétrospective qui se prolongea de manière impromptue quelques semaines plus tard dans les sous-sol de la Société Saint-Jean-Baptiste, rue Sherbrooke! Notre présence dans le temple du conservatisme québécois n’était pas fortuit. À l’époque, les élites québécoises avaient été passablement échaudées par la défaite du referendum et découvraient étonnées que les Québécois n’étaient pas la seule minorité dans la société canadienne. Ce choc avait eu comme vertu que nous étions accueillis avec une certaine bienveillance. Et curiosité.

La commémoration pasolienne tombait à point nommé. Le choix de Pasolini s’imposa naturellement pour ouvrir le premier numéro de notre revue, Vice versa. Nous nous hâtâmes de négocier les droits et permissions et c’est ainsi que nous pûmes publier un texte, demeuré alors inédit en français, dont le titre était tout un programme “Que faire du bon sauvage?”5.

En voici les premières lignes: «Nous bourgeois avons toujours parfaitement su quoi faire du ‘bon sauvage’»6. Pasolini y attaque bille en tête «la dignité virile»7, fruit du monothéisme que le blanc qu’il soit de gauche ou de droite, s’acharne à imposer aux bons sauvages qui subsistent encore de par le monde. Il y brosse un intéressant parallèle entre ces derniers et les hippies qui fleurissaient alors et dont les propositions écologistes anticipaient celles d’aujourd’hui.

Cette réflexion sur ce paradis perdu rousseauiste nous avait permis d’entamer le dialogue avec la majorité francophone ou du moins son intelligentzia. Grâce à Pasolini, nous avons ainsi pu échanger de plein pied avec les intellectuels québécois et qui plus est, les plus progressistes et notamment ceux qui avaient participé à l’aventure de la revue Parti-pris. Ce fut un moment fort qui est resté inédit, me semble-t-il. Pour la première fois le milieu intellectuel québécois qui avait déconstruit l’histoire postcoloniale en se la réappropriant interpellait les intellectuels issus de l’expérience post-immigrante.

Si le dialogue s’est ensuite poursuivi, il est resté en pointillé, inachevé. Sans doute était-il basé sur un malentendu qui n’a pas vraiment été levé et qui peut se résumer ainsi: qu’est-ce qui fait nation? L’attente de nos vis-à-vis était –c’est moi qui interprète– qu’on les rejoigne pour construire ensemble un état national indépendant et socialiste alors que nous, nous explorions précisément la voie contraire : le dépassement de l’état-nation à laquelle nous sollicitait cette mondialisation qui montrait alors le bout de son nez. On était à contre-temps ! Les uns réclamaient un état-nation pour se prémunir contre la disparition annoncée de leur culture, les autres proclamant une mondialisation culturelle transculturelle et humaniste–, que les ultra-libéraux ont réduite à sa dimension financière et consumériste. Utopies trahies. Éternel dilemme.

Cette utopie était précisément le message délivré par Pasolini dans ce texte et qui demeure un des axes de sa pensée. «La dignité virile» qu’il brocardait s’appuyait justement sur l’état-nation, socle de la modernité. Il fallait explorer un au-delà de l’état-nation, non pas pour l’abolir mais pour le dépasser. Comment ? En expérimentant «un modèle souple à la jonction des des divers univers culturels»8 comme nous le disions dans l’éditorial du premier numéro. Nous voulions à travers la revue impulser une forme de démocratie participative ante litteram avec nos lecteurs afin qu’ensemble nous puissions «identifier cet espace interculturel»9 à venir. Ce projet demeure plus que jamais d’actualité et les échos que nos anciens et rares lecteurs nous en donnent de temps à autre encore nous le confirment. En ce sens, oui, nous avons été profondément pasoliniens.

1 Dominique Fernandez, Dans la main de l’ange, Paris, Grasset, 1982.

2 La rétrospective, qui a eu lieu du 22 au 29 janvier 1983, s’est conclue par un colloque organisé par Dario de Facendis et André Beaudet le 29 janvier. Cfr. Danièle Boisvert, “Le droit à la différence”, Vice Versa, vol. 1, n. 1, été 1983, p. 11-13.

3 Fulvio Caccia, “Cendre de Pasolini”, poème inédit.

4 Pier Paolo Pasolini, Le ceneri di Gramsci, Milano, Grazanti, 1957.

5 Pier Paolo Pasolini, “Que faire du bon sauvage?”, Vice Versa, vol. 1, n. 1, été 1983, p. 1, 10-11. L’article “Che fare col ‘buon selvaggio’?”, tiré de la revue L’Illustrazione italiana (vol. CIX, n°3, février-mars 1982, pp. 39-42) avait été traduit par Nunzia Javarone.

6 Ibidem, p. 1.

7 Ibidem, pp. 10-11.

8 Fulvio Caccia, Bruno Ramirez, Lamberto Tassinari, “Éditorial”, Viceversa, vol. 1, n.1, p. 3.

9 Ibidem.

Le regard de Darwin ou le périple de l’affect (IV)

Par Karim Moutarrif

J’habitais juste au-dessus et ses yeux dorés m’ont tout de suite fasciné. Je n’en avais jamais vu d’aussi beaux.

Paris était devenu fade. C’était une ville sale, dense et hostile. Montmartre avait perdu de sa bohême depuis la Commune mais je n’avais pas vu ça autrefois. Le Sacré-Cœur était encore plus froid dans ses dorures mortuaires. Je n’assumais plus cette fougue, ce bruit perpétuel. C’était moins pire que New York mais en mauvaise voie déjà.

arbre contre jourEn se tournant vers moi et d’un ton égal, elle avait débité ses phrases avec calme. Elle s’y était préparée depuis des mois, elle y avait pensé la nuit : « Pour moi quelqu’un qui ne croît pas en Dieu n’est pas un être humain, alors nous allons arrêter nos relations là ». A près un léger raclement de gorge, j’ai rétorqua que je n’avait rien contre. Je m’attendais à l’annonce d’une catastrophe et la montagne accoucha d’une souris.                                                                                                               « C’est tout, eh bien je vais de ce pas prendre congé » Joignant la parole au geste, je me suis levé, j’ai décrocha mon manteau et je l’ai enfilé, j’ai ajusté mon couvre-chef et noué mon écharpe. J’étais de dos pendant toute cette opération et je me suis dirigé vers la porte sans me retourner. Ma sœur venait de réaliser que j’étais un mécréant.

Je savais bien qu’elle n’avait pas eu le courage de dire ça à ses collègues de travail dont bon nombre étaient athées.

Elle était ébranlée et dans son désarroi, elle avait tranché. Mais telle que je la connaissais, j’ai pensé qu’il fallait laisser la poussière retomber pour qu’elle réalise l’absurde de sa décision.

Avec moi c’était plus facile, j’étai la brebis égarée d’une famille éclatée depuis si longtemps. Une famille qui avait si peu duré que je n’en avais qu’une vague mémoire.

Je ne me  rappelais même pas avoir été un enfant. Ce n’est que quelques décennies plus tard que nous avons recollé tout ça.

Après l’inflexion de la courbe de la vie, le regard se perd au-delà des actes manqués du passé,  se racheter de toutes les conneries accumulées avec le temps.

Moi je ne voulais donner ni mon corps à la science ni mon âme à leur dieu. Je voulais être incinéré pour rejoindre ma mère Nature au plus vite et servir d’engrais à la vie future. Ne pas perdre de temps, aller à l’essentiel.. Pour être utile sans tarder, rejoindre la chaîne à la base, comme une multitude de cellules. Car il c’était moi, mais c’était amusant de se regarder du dehors, comme si on était étranger à soi. Après toute cette chevauchée je voulais juste la paix, je voulais aimer tranquillement ces êtres qui m’ont été si intimes.

Son père avait le livre sacré sous le bras chaque fois qu’il le visitait. Il demandait quel était le verset le plus performant pour le ramener à la vie, à d’autres tartuffes.

A la fin du parcours le bronco n’était plus l’étalon, il s’était transformé en dévot sentant sa fin proche. Je n’avais pas le droit de le voir, il était dans les quartiers de haute sécurité de la médecine. Les visites étaient rationnées et réservées à sa famille.

Je l’imaginais allongé dans son lit comme endormi, en paix, avec tous les câblages et autres tuyauteries branchées. Je suis sûr qu’il s’en fichait,  là où il était et peut-être qu’il y resterait.

Derrière une vitre je le regarderais. Je ne pouvais que l’imaginer.

Ne pouvant plus lui parler je faisais parler ses objets pour lui. Toutes ces années que j’avais raté, les chicanes utiles et inutiles, l’énergie gâchée.

Krison était un artiste. Qui n’avait jamais trouvé son terrain et surtout sa mère l’avait délaissé tout petit. Aujourd’hui je comprends mieux son attitude destructrice. Il ne s’en était jamais remis, pour la vie. Maintenant je peux le dire après tant de décennies passées sur cette planète. Il pensait qu’il ne valait rien parce que sa mère l’avait dépossédé de cette reconnaissance fondamentale dont un garçon a besoin auprès de sa mère. Il l’avait pris tout enfant comme une déchéance.

En même temps que je pensais à ça je voyais à la télévision des camps d’extermination. Les images de ces corps décharnés activaient mes glandes lacrymales plus que son corps engourdi dans un sommeil profond que j’imaginais.

Moi je savais qu’il n’avait pas toujours été gentil, surtout depuis qu’il avait contracté cette maladie mortelle et que j’avais appris qu’il ne prenait aucune précaution lors de ses ébats sexuels, pour distribuer la mort au nom de sa jouissance. Nous avions eu une terrible dispute. Je lui ai dit que ma conscience ne pouvait pas cautionner ça. J’avais coupé court à notre amitié et les années passant j’ai eu du remord.

Mon cœur s’est arrêté de l’aimer à ce moment là. Mais ce n’était certainement pas son père qui l’aurait entendu de cette oreille là.

Parti en Europe et loin de sa tribu, personne n’était au courant de ses perditions. Il restait cette photo du brave jeune homme souriant enlaçant son paternel dans un sourire chargé de candeur.

Sa plongée dans l’enfer de la drogue et de l’alcool dura quelques décennies et quand il rentrait pour des vacances, il ne laissait rien paraître. Je l’avais suivi comme un garde du corps  contre mon gré, disons protection rapprochée, dans ces quartiers sordides et peuplés d’immigrants où l’on pouvait se procurer ce poison qui le dépossédait de lui-même.

Je me rendis compte que son père était pleurnichard et que l’âge n’avait rien arrangé.

Je l’aurais presque bâillonné pour ne plus entendre cette voix fausse et hypocrite.

Elle me rappelait celle que j’avais déjà enregistré dans ma mémoire quelques décennies plutôt quand le mouflet faisait des bêtises et que le père voulait qu’on le sente éploré. Mais déjà à cette époque là ça sonnait faux à mon oreille.

A la télé, le regard des enfants orphelins arrachait le coeur

.

Il faisait gris sur Panam et nous ne nous étions pas réconciliés. Gris comme ces jours où vous avez envie de vous déclarer absent de la vie sociale, résolument dans votre robe de chambre pour la journée. La vie avait jeté l’ancre et la mer était d’huile. J’étais dans l’attente de mon godot sans la moindre indication sur les traits qui permettrait de le reconnaître, sur le  quai d’une  station, vers nulle part.

 

De la fenêtre je pouvais voir les gros camions sortir jour et nuit pour s’élancer sur le périphérique. Une espèce de centre de transit encore encastré sur le bord de la cité.

You’ll be a looser or a has-been

Just like in a solitary game

You’ll play and play again

And one day you’ll win

It can take a life

Just stick to your dream

La douce France se dévoilait à nouveau. J’avais quitté la sauvagerie des ces villes de grandes solitudes pour retrouver le sourire tranquille des gens de ces campagnes en voie de disparition. Je glissais dans cette douceur des après-repas, après l’apéritif qui a un nom singulier mais qui est souvent pluriel. Ajoutez à cela le sang du Christ et j’en devenais eucuménique, sensible à toutes les douceurs de l’humanité. Je ne voulais pas que ma mémoire oublie cette beauté naturelle des gens non stressés. Avec la déformation que j’avais pris après de longues années en Amérique du Nord, je scrutais ma place dans la queue mais les gens n’en avaient que faire, j’étais ridicule. Dieu que l’on pouvait être déformé. Dire que mon grand père venait du désert. Et qu’ils faisaient la queue pour abreuver leurs dromadaires.

Désert des Wahiba Sands

C’était là que je me sentais chez moi,  partout où il y avait cette humanité et du coup selon certains esprits étroits j’avais perdu mon identité. Et pourtant c’est dans ces moments d’extase que j’étais le plus terriblement humain. J’aimais cette plage que je n’avais vu que de loin, j’aimais ce rythme en dehors du tumulte. Je pensais à Jean-Léon de Médicis also known as Hassan El Ouezzane dont l’humanité n’avait été reconnue que du mauvais bord mais dont l’Humanité devrait se souvenir comme d’un exemple des effets de l’Amour universel, que beaucoup de ceux qui ont quitté le terroir ont découvert. Je ne voulais plus revenir en arrière.

L’enfant aveugle marchait dans un champ de mines, la bande de gamins qui le regardait était pétrifiée. Son propre oncle, très jeune, puisque sa mère avait été violée par des militaires de l’armée d’occupation à douze ans, n’avait déjà plus de bras. C’est qu’ici on envoyait les enfants déterrer le mines anti-personnel, certains y restaient ou revenaient avec des morceaux en moins. Ils vivaient entre ces épaves monstrueuses d’engins de guerre laissés, cuirasses de tanks et autres véhicules blindés. Le petit enfant aveugle ne savait pas où mettre les pieds et le chef de la bande lui criait de ne pas bouger en essayant de se rapprocher de lui pour le sortir de l’enfer. C’est à ce moment là de la déflagration eu lieu brouillant la vision dans un nuage de fumée opaque. La mine avait sauté à l’intérieur de moi-même. J’ai pleuré, c’était un film témoignage, sur certaines parties du monde où les caméras étaient bien souvent absentes, où les enfants n’avaient pas plus de valeur que leurs parents. Alors des cinéastes concevaient des films de bric et de broc pour témoigner.

J’avais été retenu comme il arrive parfois dans la vie quand on s’enfarge dans les obstacles, qu’on s’embourbe dans les aléas. Entre temps j’en avais vu des choses. Des milliers de mots qui n’ont pas été couchés sur le papier ou même sur la page virtuelle, peu importe. Comme disait cet écrivain dont je n’ai pas retenu le nom, une journée sans écrire est une journée perdue. J’ai senti la douleur subtile que cela procurait, une espèce d’amputation mentale temporaire. Un sentiment de culpabilité.

Charles avait resurgi un soir, alors que nous étions tranquillement en train de jouer à la playstation, geste citoyen de la modernité en route vers je ne sais où, le Grand Vide peut être.

Nous étions habitués à une meute de chiens qui ne sortait que la nuit et qui meublait régulièrement le silence du quartier, comme 101 dalmatiens, mais ils n’étaient qu’une quinzaine. Ils terrorisaient le quartier qui en devenait plus lugubre la nuit.

C’était un retour à Salé la triste, Salé la ville aux pirates.

J’étais reparti sans faire de bruit. Je n’avais que mes effets, j’ai appelé un ami qui est venu me chercher et avant de quitter j’ai glissé les clés dans la boîte aux lettres. Je n’avais de regret que pour les chimères que nous ne réaliserions probablement pas, l’énergie perdue.

Des explosions de colère que je ne comprenais pas et la dernière qui me signifiait que j’étais de trop. De toutes les façons des retrouvailles avec des êtres chers que je n’avais pas vus depuis un quart de siècle m’avaient bien remué. Je trouvais que la colère ne justifiait pas l’humiliation qui n’a d’effet que si on la ressent. Mais les mots avaient été lâchés à dessein.

Mon ami avait pris de l’âge comme tout le monde, dans un environnement hostile, les années aidant son caractère en a été transformé.

Je ne voulais pas perdre l’ami,  alors je suis parti. Toute discussion étaient inutile voire impossible.

Désert Blanc (III)

Par Karim Moutarrif

Je me souviens.

C’était un matin de mai. Mais je suis seul à connaître cette histoire. C’était il y a quelques décennies déjà.

Dans une petite ville du sud de l’Europe, au bord de la Méditerranée.

Dans la brume du temps, je me souviens.

Du premier voyage entre les cultures, de la rencontre des “autres”.

Je me souviens de la rivière, de mon grand chien blanc.

De la découverte des fourmis et des poussins, du jardin familial et de l’été.

Je pense que c’est là que s’est passé le plus beau.

Quelque temps après, un matin de mai, elle est partie.

Elle n’est jamais revenue, la pauvre.

Ce fut son trentième et dernier printemps.

Ce fut très bref. La fin brutale d’un cocon d’amour.

Une longue errance, celle d’une existence, s’ensuivit.Après le café noir matinal et les étirements devant le soleil, il glissa une cassette dans le lecteur.

Automne sur Cape Cod – banque photo libre de droits

Il retournait vers sa mère, parce qu’elle était la première femme qu’il avait aimée.

La première à partir.

Cet amas de terre restait le dernier lieu de rencontre avec celle par qui la vie était venue.

 Et même si j’étais revenu ici pour effleurer tes restes abs­traits, je ne t’ai pas connue ici.

Je t’ai connue dans un autre pays et tu n’étais déjà plus d’ici.

Tu avais changé, tu étais bien entrée dans le jeu de la dé­couverte de ce nouveau monde.

Tu me parlais une autre langue.

Peut-être que tu voulais m’extraire.

Ne parler qu’à tes enfants.

Tu ne m’as jamais dit que ce n’était pas “chez nous”.

C’est vrai que pour des enfants, ce sont des choses un peu abstraites.

D’autres s’en sont très vite occupés, mais je ne les ai jamais pris très au sérieux, bien qu’ils soient effrayants d’igno­rance parfois.

Avec toi, je ne faisais que suivre, tous les pays étaient les nôtres.

Cet amas de terre n’existera bientôt plus, la concession de la ville arrivait à sa fin.

L’année prochaine, les bulldozers passeront, les os seront rassemblés dans une fosse quelque part.

La pression foncière et les requins de l’immobilier se mo­queront alors de son culte.

Des hommes bien gras viendront visiter les lieux dans de grosses mercedes noires, cigare au bec.

Et les paris seront ouverts.

À ce moment là, il n’y aura plus aucun endroit pour la re­trouver.

Ses restes rejoindraient l’inconnu, l’immatériel.

Ça deviendra un coin de rue.

Le dernier lien avec cette terre sera rompu.

Ensuite il n’y aura plus que son imagination.

Elle était proche, mais je la sentais  absente.

Elle avait fermé petit à petit sa complicité envers moi.

Chaque jour, je perdais de ma substance.

Nous allions vers l’inévitable.

Il feuilleta son carnet de téléphone.

Cherchant une fuite vers l’ailleurs.

À qui parler?

Il passa en revue l’alphabétique.

Personne.

Asi vivait en Europe, il n’en avait plus de nouvelles, depuis belle lurette. Mariée à un beau parti, trois enfants, réussite sociale, gauche caviar.

Al était en quelque part en Afrique pour la vie,

Il n’aimait pas l’Occident même s’il y était né et y avait été bercé.

Il avait fini par fuir définitivement.

Il eut un dernier sursaut quand sa compagne accoucha, il repartit en Europe le temps d’une naissance.

Sa dernière adresse: une espèce de magasin général où on balance le rare courrier par un avion qui passe par là une fois par semaine et qui n’atterrit que quand cela s’avère d’une extrême nécessité.

Pas loin du lac Tanganyika et très proche des pygmées.

Kum s’était perdu à New York.

Il avait été impossible de le retrouver.

Pourtant je fis des recherches. Je finis par perdre espoir au bout de quelques années.

Entre-temps le pays où il était né avait changé de vocation, d’une domination à une autre. Lui qui envisageait déjà de clarifier les choses pendant la dictature antérieure, devait être à terre.

Kum était un excellent guitariste, mais maintenant il ne jouait plus. Il vendait des steaks sucrés et louait des voi­tures chez les humanoïdes.

Malik avait aussi pris la route du Nord. Il s’y était perdu.

Plus de nouvelles depuis.

Les années ont passé et les copains et les copines étaient devenus bedonnant.

Il y avait aussi ceux qui étaient morts sur la route, entre vingt et quarante ans, suicide, overdose ou sida.

Et pourtant l’été était magnifique et le ciel d’un bleu d’Afrique tout à fait particulier.

 

Il jeta de nouveau un regard circulaire sur ce monde du si­lence puis se retourna pour observer la mer qui ruait sur le platier de rochers, là-bas, au-delà de la route.

Il eut le sentiment d’appartenir à l’élément.

D’autant que l’océan ne se proclamait pas de la petitesse des hommes, il appartenait à tout le monde.

L’air iodé lui pénétrait les poumons.

C’était cette rupture qui le hantait.

La fin d’une course et l’heure des bilans.

La fin d’une vie et le début d’une autre.

 

Il avait choisi ce moment avec intention.

Il se souvenait de la magie du décor dans ce pays.

Quand le jour n’est plus le jour.

La tête dans les nuages, il était assis sur un tapis de nattes.

Dans un café de la ville du détroit.

Un café aménagé en terrasse.

Avec un grand verre de thé à la menthe, à portée de main.

Sur le bord d’une falaise. Vue sur la mer.

Les jours de beau de temps, de l’Afrique, on voyait l’Europe. Le monde à portée de la main et l’envie de traverser. Voir ce qui se passe derrière ces montagnes mystérieuses.

Y a t-il des gens comme ici? S’aiment-ils ?

Sont-ils solidaires? Sont-ils romantiques?

Les pensées se perdaient ainsi dans les sirènes des bateaux et le grondement des eaux de l’océan

Je me souviens de ces cieux chamboulés où rougeurs de l’astre de feu et nuages échevelés se livraient à une der­nière joute, à la nuit tombante

 Il n’était pas nostalgique et tentait de ne retenir que les éléments objectifs de ses souvenirs.

Souvenirs qu’il tentait de piéger là, sur la page.

Arrière-plan de l'été – banque photo libre de droits

Le cimetière était à l’écart des passages.

Il voulait ménager leur rencontre.

Ainsi, ils seraient en tête-à-tête.

Il repensait à tout ça, en regardant de la fenêtre de son bu­reau, au vingtième étage d’un building.

En bas, les humains  grouillaient comme des fourmis.

C’est sûr maintenant, il n’était plus un raté.

Il avait fait de l’argent comme ils disent, beaucoup d’argent.

Mais il s’en fichait. Comme il s’était toujours fichu de l’ar­gent, il le distribuait, faisant juste attention à toujours en générer par ses affaires, pour pouvoir en faire ce qu’il vou­lait vraiment.

Il aurait aimé lui en faire profiter à elle, mais elle n’était plus là.

Puis il leva les yeux vers le ciel et quand son regard se perdit, il eut une vision.

Le noble animal se détacha de la falaise en vol plané, les ailes déployées.

On pouvait suivre son ombre sur la roche ridée.

Il avait fait un rêve où il était un aigle, cette fois-ci.

On lui avait dit que Mouss travaillait dans une ville voisine. Il était employé de banque. Après avoir été un jeune foot­balleur de génie. D’une souplesse phénoménale.

Son voyage vers le nord n’avait pas été brillant.

Il n’est pas revenu bardé de diplômes comme beaucoup de ses congénères. En rentrant, il a tout recommencé.

Les chemins avaient divergé et ils ne s’étaient plus donnés de nouvelles.

 

Je me souviens de Mouss.

Un romantique.

Au lycée, tous les mercredis après-midi, moment de liberté pour nous pensionnaires, Mouss rentrait saoul et chantait Ne me quitte pas de Jacques Brel, dans les toilettes. Il en braillait et nous, public fidèle nous venions assister à la performance.

Il était très bon.

Je n’ai encore jamais vu personne faire aussi bien.

Il se disait que Mouss l’avait certainement oublié et pour­tant, il l’aimait bien.

Parfois l’enfant qui est en nous est réprimé au nom des contingences sociales.

Peut-être que s’ils se retrouvaient un jour, Mouss balaye­rait du revers de la main tous ces rêves, prétextant le temps qui passe ou encore la paternité.

Peut-être qu’il n’aimera pas parler du passé.

Il aurait aimé juste faire un tour dans ce passé.

Voir comment toutes ces personnes qu’il avait connues, avaient pris de l’âge.

Juste par curiosité.

À l’heure du bilan, il restait Mari.

Elle écrivait la terre rouge au pays des amérindiens et joi­gnait le sable à l’hiver.

Elle écrivait étrangement et plein de poésie.

Elle mélangeait le désert dans ses tableaux, la couleur de la terre avec ses vers.

Elle avait vu ce grand silence de poussières, toute petite, et c’était gravé dans sa mémoire, entre le plastique et le métal quelque part en Amérique.

Du coup, elle avait pris la langue à bras-le-corps et la fa­çonnait comme elle l’entendait.

Comme une dompteuse aurait amadoué un félin sans le moindre claquement de fouet, elle faisait mouvoir le monde par son verbe.

Mais même avec Mari, heureusement qu’il y avait cet ins­trument démoniaque appelé téléphone.

Sans le fil qui chante, leur amitié aurait périclité à coup sûr.

 D’ailleurs quand je déprime, je pense à Mari et c’est comme quand j’écoute du reggae, elle me stimule.

Mari, je l’admire.

Nous nous sommes connus, et nous sommes devenus  amis au téléphone. C’est dire les maléfices que cachent les appa­rences froidement design de cette invention.

Un autre hiver s’était écoulé sans qu’il puisse la voir. Mais il se dit que la prochaine fois qu’il lui rendra visite, il aura une bouteille de scotch cachée sous le paletot.

Peut-être même qu’il aura un manuscrit à soumettre à son regard acerbe. A sa réaction, il saura si ça vaut vraiment le coup de tenter la publication.

Mais peut-être qu’il ne la reverra pas.

Il faut dire que tout cela s’est passé en Amérique, et le temps y avait une autre valeur.

Le noble animal avait détourné sa migration vers le Sud.

Vers des territoires plus sauvages.

Il se recroquevilla pour observer de près cette ultime de­meure.

Il prit une poignée de terre et l’écrasa dans sa main tout en la soulevant.

Juste ce geste me rappelait que je n’avais probablement pas palpé la matière de cette façon-là depuis des années.

J’avais été happé par la civilisation des villes, j’avais perdu ces réflexes. Oublié de me référer à la terre et au ciel pour savoir quel temps il fera demain.

 Tout cela je l’avais appris.

Tout le monde le savait autour de moi, il était une fois.

Le dieu du vent fit le reste. La terre fut emportée

Cette tombe n’était qu’une porte vers ailleurs.

Vers un inconnu où se perdaient les êtres chers.

Un inconnu que les humains étaient incapables de décrire.

Autour de lui, il n’y avait que ça.

Que des gens désincarnés dont les corps n’existaient plus dès que la machine du temps s’était arrêtée pour eux.

Ils étaient probablement partis vivre une autre vie ailleurs.

Son regard se fixa sur la terre affaissée.

Témoin muet des secrets de la vie, de la mort.

Il resta ainsi à méditer pendant de longues minutes sur les années d’absence, de distance, de détachement.

 Je suis revenu pour flairer la trace de la première femme que j’avais aimée et qui m’avait laissée au bout du déses­poir.

Je suis revenu après avoir été délaissé de la femme que j’aimais.

Au bout du désespoir.

Et dans le fond, contre toute attente, c’était toi qui m’inspirais.

Je l’ai regardée à travers toi.

Je m’en suis rendu compte longtemps après

 

EUROPE. Satire? Dazibao sur Charlie Hebdo

Une caricature de “Charlie Hebdo” scandalise l’Italie

Ainsi titre Le Point dans son site internet du 2 septembre mais on pourrait citer d’autres sites français (http://www.lepoint.fr/medias/une-caricature-de-charlie-hebdo-scandalise-l-italie-02-09-2016-2065563_260.php)

Satire ?! Scandale? Ce qui choque, au de-là de la désolante, triste stupidité de cette caricature de Charlie Hebdo sur le tremblement de terre qui a pulvérisé la ville d’Amatrice faisant 300 morts, est qu’en France on en fasse une « affaire italienne ». Comme si la douleur, la bêtise avaient des frontières nationales …Pas d’espoir pour l’Europe si, en France, les médias n’ont pas le courage de condamner cette “satire” humainement, universellement cruelle et gratuite.

Lamberto Tassinari

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Je sais plus qui je suis….

Je n’ai jamais été vraiment fasciné par le tabloïd, je le trouve de mauvais gout bien des fois mais comme Voltaire je me battrai pour qu’il ait sa place parmi les autres  média. Cependant la liberté d’expression semble porter à certains mépris de l’humain chez Charlie et une fois de plus il s’y illustre bien.

Beaucoup de choses se cachent derrière le geste de Charlie :

La catastrophe, en Italie, est « nationale », c’est ailleurs déjà, donc on peut en rire, sans limite. Je n’ose pas imaginer l’inverse et une France meurtrie par un tremblement de terre faire l’objet d’un pareil sarcasme. Je vois d’ici les boucliers se lever et les leçons de bonne conduite assenées à tout va

Les Italiens sont de la « pasta », ce qui n’est pas sans rappeler les vocables qui qualifiaient cette immigration en France, chacune ayant son appellation. Pour les Nord-Africains, c’était « bougnoul » par exemple, les Portugais, des “Portos”, les Polonais, des “Polaks”.

C’est donc une pauvre France que Charlie perpétue ainsi.

Charlie qu’on a pu prendre une foultitude de fois, la main dans le sac, franchissant cette frontière que personne ne peut lui contester au nom de la liberté d’expression

Qu’est ce qui a pris à Charlie de faire de l’humour bourré de mépris sur une tragédie humaine ?.

C’est juste incompréhensible, inqualifiable, lamentable

Karim Moutarrif