Category Archives: Ficciones

Rencontres d’un nouveau type

Karim Moutarrif

C’est un écrit qui s’étale sur trois décennies, au moment où  une tendance commençait à s’installer dans la société, à l’Ouest. Il y a trente ans déjà…..

___________

Si je regardais les choses sous emprise, je dirais que je n’ai plus le temps. Je ne connais pas de lieux de rencontres qui soient sains. Je rentre chez moi crevé et je n’ai guère envie de faire du social quand j’ai juste besoin d’écouter mon corps. Mais ma libido me harcèle pour que je lui consacre du temps et j’essaie de le trouver. Alors en attendant de le trouver je parcours de temps en temps des annonces de rencontres. Surtout j’essaie de m’imaginer les portraits de femme sur lesquels je m’attarde. Les descriptions se font toujours en termes élogieux, maniant le verbe à vous en donner le vertige. En quelques phrases lapidaires on vous brosse un portrait. J’ai même entendu parler de compétitions où vous n’aviez que quelques minutes pour séduire votre vis-à-vis. Il fallait être un sacré virtuose et je n’avais pas l’âme adéquate. J’égrenais ces annonces entassées les unes sur les autres, se bousculant pour essayer de passer les unes avant les autres dans un embouteillage réel. Laquelle croire ?

Fantaisie, Nature, BelleDe nos jours, la rencontre se vend sur catalogue. Après la fermeture du petit commerce, ce sont les points de vente qui ont pullulé, puis pour des raisons d’économie, au troisième millénaire, tout s’achète directement de la fabrique, pardon, de l’unité de production. Même les mots avaient changés, tout était en mutation. Comment chacun sait quand on achète sur catalogue, on a souvent des surprises entre la photo, la description et la réalité.

Elle

Fascinante de beauté

D’intelligence

De sensualité

Le silence se fait

Quand elle passe

Dans nos fantasmes nous mettons des mots sur les choses, la plupart du temps sans vraiment y penser. Comme on dit être sexy sans savoir de quoi on parle. A moins qu’on ne veuille détourner l’interdit qui régit la sexualité pour dire quand même quelque chose qu’on ne peut pas nommer, sous peine de sanction.

Moi qui avait passé des années à connaître juste une femme, je me demandais après la fin de cette histoire comment il serait possible de comprendre quelqu’un, d’un simple coup d’œil, en quelques mots de description.  Et si le silence se fait sur son passage c’est parce que les femmes sont des proies. Quand on n’est pas chasseur, on est excommunié, dans une bataille où chacun veut devenir le chef de la meute et les avoir juste pour lui. On pouvait ne pas adhérer. La fin du deuxième millénaire et le début du troisième n’avaient  rien changé à cela pour moi qu avait du mal à communiquer juste avec une personne à la fois.

Sylvie cherche

Un homme à sa mesure.

Comme vous vous feriez tailler un costume sur vos proportions. Sylvie cherche un homme à son niveau de supériorité sociale, sans le dire vraiment. Si l’on fouille un peu, la modestie n’est pas toujours le fort des chasseurs d’ « amour ».  Qu’est ce que l’amour, celui du christ, des ébats sexuels où un sentiment indéfinissable et très prenant qui rend deux êtres dépendants l’un de l’autre. Ou peut-être juste l’un des deux. Un dominant et un dominé,  comme dirait Fassbinder.

Battant, Ambitieux, Attrayant, Patron

Mais en même temps il faut que je me projette comme un homme décrit par une annonce en lisant les portraits que les hommes se font d’eux-mêmes. Tenter d’y trouver ma place tant bien que mal.

Lui

Il a trente ans

Il réalise le tour de force

D’être beau

Grand

Intelligent

Cultivé

…Et charmant

Il a

En dehors

De ses qualités professionnelles

Vingt-deux mille francs

Un humour savoureux

Et de nombreux centres

D’intérêt

Il a une voiture de sport d’un modèle historique, il est toujours bien habillé. Cravaté car il navigue dans le monde des affaires. Pour ma part, ce conformisme de la tenue m’écrasait.

C’est un macho qui se déguise en séducteur. De  séducteur en prédateur. Il accumule un tableau de chasse. Comment cela se gère t’il sur toute une vie.

Je le connais. Je les connais. Je connais mes congénères au point d’être dégoûté de leur humour misogyne. Je savais ce que la gent féminine ne savait pas et comment nous étions égarés nous les hommes, avec nos préjugés.

Nous allons vers des relations de plus en plus plastifiées.

Beau, grand, intelligent, il fait partie d’une élite choisie par le destin pour être un modèle de masculinité. A côté de lui, je ne suis qu’un nabot, disqualifié d’office. Je ne suis pas ce qu’on pourrait appeler beau. Quand je me regarde dans une glace ce n’est pas ce qui m’est renvoyé. Je ne suis pas grand, plutôt dans la moyenne discrète et je ne fais pas de body building. Je n’arrive certainement pas dans le peloton de tête.

Il ou elle adorent

La forte personnalité

Recevoir des amis

Et partager avec eux

Des moments chaleureux

 

Je savais bien que des gens pouvaient s’acoquiner sur de pareilles bases. Se soutenir dans leurs croyances. Elle se maquille parce que dans sa tête, il est profondément ancré qu’elle doit lui plaire mais lui ne se colorie jamais. Elle s’épille, il exhibe le système pileux de son thorax qui le fait ressembler à son ancêtres. Des moments où on se montre socialement. Des moments où l’on montre ce que l’on veut.  Comment on voudrait être vu sans accéder à la face cachée de la lune que l’on a du mal à regarder. L’image fugace et factice sans jamais parler vrai. La vie comme un show, tout dans l’apparence. Mon vieux grigou de grand-père, qui en a collectionné des blondes, c’était dans les mœurs, disait « Ô toi le décoré de l’extérieur, comment vas-tu à l’intérieur ». Quant à ma personnalité, j’étais plutôt du genre à raser  les murs en évitant les grands débats. Je n’ai pas beaucoup d’amis mais je partage quand même avec eu des moments chaleureux sans faire de bruit.

Vous possédez

Classe

Éducation

Et vous êtes décidés

A réussir votre vie

Dans tous les domaines

Vous seul(e) manquez.

A son bonheur

Laponie, Hiver, Jeris, La Neige, Paysage

La classe et l’éducation, on y croit à vingt ans, quelques années plus tard c’est déjà du mensonge. Avec les années la scoliose ressort et on ne la cache plus, elle fait partie du portrait. Les prolétaires n’ont aucune chance, ce qui laisse la place aux autres. Ceux qui à force d’entraînement l’on acquise à l’arraché. Je n’avais pas le pouvoir du rouleau aplatisseur  et je ne pouvais m’étendre sur plus que quelques domaines de la vie. Mon amplitude était ainsi très limitée. Je ne pouvais pas prétendre au challenge et je ne comprenais pas ce que voulais dire réussir sa vie, puisqu’elle n’avait rien d’un examen. Je la voyais plus comme un parcours d’obstacle et il n’était pas évident de pouvoir tous les éviter.

Mais elle était belle, elle, et elle me donnait du bonheur dans son infinie rigueur.

Sans parler de décider, avions nous vraiment la maîtrise des décisions que nous prenions, j’étais plus calculateur, je procédais comme d’antan les oracles. Je me disait ni oui ni non, j’attendais le vent favorable et parfois la mer était d’huile. Je serais plus du genre à faire les courses solitaires autour du monde dans l’océan de ma tête.

Elle

Très belle

Brune

Élégante

Et raffinée

Laborantine

La blondeur des blés mûrs

Un regard bleu de mer

La poésie est difficile à gérer tous les jours et l’inspiration peu propice à la traque. Elle était plutôt fluide, difficile à piéger Pour ce qui est des blés mûrs je ne les voyais qu’à une période de l’année. Quelquefois la sécheresse les brûlait dès le mois d’avril, sur les terres arides. Avec le temps elle se fanait. Dans un regard bleu de mer je me perdais comme dans un océan, il ne m’en fallait pas beaucoup. Mais une fois perdu, cela prenait du temps pour me retrouver. Le raffinement  coûtait de l’argent et les milliards de pauvres de la planète passaient à côté sans le voir. Toute une vie.

Lui

Directeur de société

Grand

Bel homme

Trente huit ans

A l’excellente présentation

Classique

Plein d’énergie

D’humour

De punch

La routine n’est pas faite pour lui.

Il faut avoir l’air d’un pistolero, capable de dégainer plus vite que son ombre. Les femmes aiment ça, paraît il. Mais tous les hommes n’étaient pas des guerriers. J’étais plutôt du côté de l’intendance prenant un réel plaisir à faire la cuisine comme on compose des morceaux de musique. J’étais au pire aller un homme de troupes, un fantassin à qui la direction des choses échappait totalement. Mon énergie était fluctuante comme le climat et je faisais de l’humour noir quand j’étais en forme. La routine plus forte que moi, m’emportait et j’attendais toujours la sortie de l’œil du cyclone.

Il et elle voudraient

Créer un foyer

Chaleureux

Et accueillant

Où chacun trouve

Sa place

Et son sens

Mais en fait, une fois les masques abattus, ne seraient ils pas en quête de tendresse ? Nous étions tous des cro-magnons dissimulés, à la recherche du feu, pour lutter contre le froid de l’hiver et de l’humanité contradictoire. A la recherche de bras pour nous enlacer, de corps pour se réchauffer.

Lui

Intelligent

Cultivé

Que tout intéresse

Elle

Blonde

Aux yeux pétillants

Te dit à demain

Vu sous cet angle, c’est un couple prometteur qui se profile, entre intentions et réalité. Je ne dirais pas à demain à n’importe qui, après juste un clin d’œil, de peur de brûler dans les étincelles d’un regard.

Cher correspondant

Si tu réponds

Nous pouvons

Ensemble

Fonder un foyer harmonieux

Méthode efficace

La vie est une longue partie de poker, en répondant je pourrais perdre. J’aurais trop peur de la prétendue efficacité qui semble de plus en plus balayer nos existences. Je rêvais de rencontres simples, celles de la vie de tous les jours. Mais finalement, nos existences glissaient les unes à côté des autres, visqueuse, insaisissables. Incroyablement muettes.

La multitude accentuait la solitude puisque nous n’avions plus le temps de nous arrêter devant le nombre.

Il connaît

L’art de rester lui-même

En toute circonstance

Et apprécie

Par-dessus tout

Le naturel

L’humour

La simplicité

Vos enfants seront les bienvenus

Il faut aussi parfois passer par les arts martiaux pour jouer, alors que le mensonge faisait partie intégrante de nos vies. Quand on répond ça va alors que ça ne va pas du tout, qu’on ne dit pas tout, de peur de heurter, pour éviter le conflit, pour paraître gentil. Quand tu me dis que je suis beau alors que tu ne le penses pas une seule seconde. Et si les enfants ne m’aiment pas qu’adviendra t’il de notre association.

Bon à découper

Et à retourner au correspondant

Je vous aime numéro 97102

C’est ouvert tous les jours

De dix heures à dix neuf heures

Plus jamais seul(e)

Dès ce soir

D’autres ont réussi

Pourquoi pas vous

Là je voyais des colis avec des étiquettes d’expédition et la journée continue, la semaine sans fin, pour traiter mon cas comme dans une chaîne et comme au loto une probabilité de plus en plus aléatoire. Au même moment les humains étaient devenus  ressources et la solitude un marché planétaire où vendre des antidotes. Comme toutes ces crèmes qui vous rendront votre peau d’hier quand le corps est une machine qui s’use. Comme ces docs qui parcouraient le Nouveau Monde avec des philtres et autres potions et qu’on ne voyait qu’une fois. Après avoir arnaqué le chaland, ils disparaissaient à jamais. La terre était vaste et jonchée de crédules prêts à croire au miracle.

Lune, Couple, Bleu, Amour, Amoureux

Solitaires

Qui cherchent

L’âme sœur

Ayez le réflexe

Anti solitude

Pour réchauffer votre cœur

Cet hiver du troisième millénaire

Qui cherchez vous

Il n’y avait plus de fêtes de village, plus de village, que des images. La solitude était devenue un mal répandu, plus efficace que le sida. Un mal incurable pour lequel on passait des médecins aux marabouts puis aux rebouteux et enfin aux sorciers. Je cherche quelqu’un, je ne sais pas qui,  peut-être pas une bouillotte pour mon cœur. L’hiver viendra me voler une autre année de mon existence, me soumettre à ses exigences.

Belle comme le jour

Et pourtant simple et sans prétention

Ou

Fabien huit ans

Et son père trente septembre

Rech.

Gent.

Et douce maman

Goûts simples

Souriante

Pour repartir

Sérieusement

Elle, fascinante de beauté, d’intelligence, de sensualité. Le silence se fait quand elle passe

Sylvie cherche un homme à sa mesure. Lui il a trente ans, il réalise le tour de force d’être beau, grand, intelligent, cultivé et charmant. Il a, en dehors de ses qualités professionnelles

(3300 dollars par mois), un humour savoureux et de nombreux centres d’intérêt. Il ou elle adorent la forte personnalité, recevoir des amis et partager avec eux des moments chaleureux .Vous possédez classe, éducation et vous êtes décidé à réussir votre vie dans tous les domaines, vous seul(e) manquez à son bonheur.  Elle,  très belle, brune, élégante et raffinée, laborantine, la blondeur des blés mûrs, un regard bleu de mer.

Lui directeur de société, grand, bel homme, trente huit ans, à l’excellente présentation, classique, plein d’énergie,  d’humour, de punch,  la routine n’est pas faite pour lui. Il et elle voudraient créer un foyer chaleureux et accueillant où chacun trouve sa place et son sens

Lui, intelligent, cultivé,  que tout intéresse. Elle, blonde, aux yeux pétillants, te dit à demain, cher correspondant. Si tu réponds,  nous pouvons, ensemble, fonder un foyer harmonieux.

Méthode efficace. Il connaît l’art de rester lui-même en toute circonstance et apprécie par-dessus tout le naturel, l’humour,  la simplicité. Vos enfants seront les bienvenus

Bon à découper et à retourner au correspondant Je vous aime numéro 97102. C’est ouvert tous les jours, de dix heures à dix neuf heures. Plus jamais seul(e), dès ce soir.  D’autres ont réussi,  pourquoi pas vous. Solitaires qui cherchent l’âme sœur, ayez le réflexe anti-solitude

Pour réchauffer votre cœur cet hiver du troisième millénaire Qui cherchez vous ?

Ils se cherchèrent, se trouvèrent dans une nouvelle ère, celle du partenariat. Avec les ressources humaines, le couple devint une entreprise. Ils vécurent six mois, elle tomba enceinte, ils se séparèrent.

Une ère nouvelle venait de se consolider. Celle d’un oxymoron, le couple monoparental.

The illusion to be in touch with

Karim Moutarrif
J’ai écrit ce poème pour décrire les relations inhumaines vers lesquelles nous nous en allons. À la suite de cet écrit il y a des liens avec des chansons de ma composition.
The illusion to be in touch with…

I’m talking to you; you’re in the next room, it’s unbelievable
I imagine you appearing in the door frame with your sweet little face
While you’re thousands of miles away from me
You’re thousands of miles away from me 

The illusion to be in touch with

I cannot feel your breath on my shoulder, I cannot hug you
You write me all that stuff; you became a social network
And you’re thousands of times away from me
You’re thousands of times away from me

The illusion to be in touch with…

Bouquet, Nature, En Bonne Santé

Your smiling face is on the screen and it’s talking to me
It’s pointing the camera with a finger; sounds you’re alive
But you’re thousands of years away from me
You’re thousands of years away from me

The illusion to be in touch with…

I do not trust you anymore but I have to believe
The impression of you, it is all that stays in me
Since you’re thousands of dreams away from me
You’re thousands of dreams away from me
The illusion to be in touch with…

__________________________
La suite est une chanson dédiée à Alfred Nobel, ce bienfaiteur de l'humanité qui a vendu tellement d'armes mais qui est mort terriblement seul.

https://www.facebook.com/Tarazoo-226576650731256/

______________________________________________

"Women" est un hommage a ces êtres sans qui la gent masculine n'aurait aucun sans : nos mères, nos sieurs, nos compagnes et nos filles





Du pigeon Jean-François ceci n’est pas l’histoire

Giuseppe A. Samonà
Dessin de Fulvio Caccia

Tu es assise sur ton minuscule balcon, le matin est frais, agréable, et voilà : tu entrevois une silhouette noire là-haut, parmi les feuilles délicates de ton lierre bien aimé, un sac en plastique tombé du balcon de la voisine, penses-tu – pauvre humanité, toujours aveugle… – et tu te lèves pour le saisir, quand, la main arrivée à proximité de la silhouette, et derrière elle les yeux – plus aptes à voir que les mains… – haaa, tu sursautes … Oui, haaa, et non pas blaaa comme on le ferait en se retrouvant face à un cafard ; haaa : dans lequel il y a bien sûr le dégoût, mais aussi la peur, ou qui sait, l’horreur, une horreur ancienne, le souvenir des temps où nous aussi étions dotés d’ailes, de plumes – bien installé parmi les feuilles vertes, avec son œil de verre, épouvantable, il te regarde. Un énorme pigeon. Puis, avec un terrible effort, tu t’arraches à cette terreur pétrifiée – combien de temps a duré le regard de Méduse ?  – tu rentres précipitamment dans la cuisine, tu l’enfermes à l’intérieur, c’est-à-dire, à l’extérieur : le monde entier est une immense prison. Tu attends, lui aussi, tu le regardes, lui aussi, à travers le mur de verre. Finalement, par la porte à peine entrouverte, tu fais passer un balai, et frappes avec violence le pot, et l’énorme pigeon ouvre les ailes, frrrr, frrrrrrrrrr, mais il ne vole pas, il ne bouge pas, comme s’il ne pouvait ou ne voulait, on dirait un épervier, un fantôme, l’ombre répugnante et redoutable de la Mort. Et boum, désespéré, un autre coup de balai, et un autre, un autre, avec des trajectoires différentes, jusqu’à ce qu’enfin cette grosse bête affreuse et obstinée tranquillement s’envole.

Je n’y étais pas, et je ris, le soir, quand tu me le racontes. Les femmes, elles exagèrent toujours – mais je ressens en moi un frisson d’inquiétude.

Mais j’y suis quand tu me réveilles. Il est revenu, dis-tu (tu es déjà debout). Moi aussi je me lève, je te suis. A travers la vitre, dans l’obscurité, je peux enfin voir, semblable à une claire lune de diamant, trônant sur le lierre lascif, son terrifiant œil de verre. Il n’est pas possible de l’attaquer maintenant, ni d’ouvrir la porte, ne fût-ce une ouverture minime : en même temps que l’affreux regard pourrait entrer la nuit entière. Nous y penserons demain, dis-je. Mais nous mettons très longtemps à nous endormir. Les ténèbres, le futur, sont oppressants.

Le matin, comme prévu, il est toujours là, bien accroupi, installé dans son pot de lierre : l’œil de verre, le corps énorme et gris, excepté pour le cou, qui est blanc. Certes, maintenant notre geste est sûr, la trajectoire est calme, étudiée. Au premier coup, l’énorme pigeon s’envole, et se perd dans l’air. Mais nous savons qu’il reviendra. En effet, il revient. Pendant deux jours nous nous alternons, toi et moi, pour donner le coup de balai.

Puis, l’intuition, l’œuf de Colomb (s’il m’est permis de le dire). Le pigeon est une pigeonne, ou mieux une palombe – je suis à mes moments perdus chercheur en zoologie – le cou blanc  ne laisse pas de doute. Et toi, en son absence, sans parler, presque sans respirer, et sans accord préalable, tu as fouillé dans le fond de son pot, et tu as trouvé  comme un fil, une petite branche, puis une autre, et une autre, étaient des dizaines de fils entrelacés, que tu as pris, démêlés un par un, jetés. Et puis, encore plus dans le fond, à mon tour – tuer est le travail des hommes – j’ai caressé la plante, je l’ai tâtée de ma main meurtrière, jusqu’au moment où je l’ai senti, et pris entre le pouce et le médius. Sa blancheur était aveuglante, son ovale émouvant. Je l’ai gardé dans ma main pendant quelques instants, comme si je ne savais qu’en faire. J’ai eu à nouveau sept ou huit ans, j’ai éprouvé cette même joie tiède, presque sexuelle, que m’avait donnée la naissance des enfants des canaris dans ma maison familiale, et puis j’en ai eu de nouveau cinquante, et j’ai ressenti la douleur de sa mère. Et même, je me suis senti mère moi aussi: je savais – les mères savent ces choses-là – qu’il s’appellerait Jean-François. Mais la nature ne connaît pas la pitié, chacun défend son territoire; et surtout, faut-il le rappeler ? entre les hommes et les pigeons c’est la guerre totale…

Ceci justement n’est pas l’histoire du pigeon Jean-François – ou si l’on veut, pour le dire plus précisément: ceci est la non histoire du pigeon Jean-François, c’est-à-dire une histoire qui n’a jamais été – celle, en d’autres termes, d’un pigeon qui aurait pu être et ne fut pas. Même si cela m’a, nous a rempli de tristesse.

N.B. Ce que je viens d’écrire n’est surtout pas, ni ne veut être, une réflexion théologique sur le commencement ou la substance de la vie, ni un pamphlet pour la défendre, la vie, sous la forme d’une croisade, que sais-je, contre l’avortement, voire l’euthanasie… Ce n’est pas non plus un appel en faveur du permis de tuer, ni un éloge des armes et de la violence, ni, Dieu nous en préserve, une métaphore pour justifier les frontières ou – per carità – le droit d’un peuple à habiter un territoire (ou pas).  Non. Ce n’est qu’une petite histoire vraie, et même pas de ces histoires vraies très à la mode que l’on vend comme des cacahuètes, car justement c’est la vraie histoire d’une non histoire… J’ajouterai juste ceci : parfois je revois dans l’obscurité cette énorme pigeonne épervier qui bat des ailes, comme l’ange de la mort, et la peur me saisit… Et si un jour je me retrouvais de nouveau face à elle, revenue pour me réclamer vengeance de son fils Jean-François ?

***

Photo de Sophie Jankélévitch

Post scriptum. Sophie Jankélévitch, que je remercie, voit dans cette histoire un écho de la célèbre épopée de la mouette Marie-Jeanne. Le lien est bien sûr intrigant, et j’espère avoir la possibilité de faire les recherches nécessaires en vue d’une prochaine publication.

 

 

Bestiario de los árboles

Ángel Mota Berriozábal

Sucintos, como una plegaria que se derrite en el firmamento, como un esbozo de silencio que se quiere en el anhelo y el fracaso, evoco tu recuerdo, el deseo de ser algo más que una hoja, el recuerdo evasivo de desear ese futuro, que, por el tiempo, se ha ido de mis manos. Entonces lo sujeto con el temblor llano de quien todavía cree que en el caminar hará algo, será algo. Acepto, sin embargo, que soy solo esta taza de escombros, de recuerdos ya resquebrajados. Vivencias acabadas sin ganas. Y solo eso, el verte, lejana, tan lejana, con tu callado amable, me ha quitado esperanza. Tu arma siempre ha sido la distancia y el silencio; el tuyo y el del mundo. Un vacío que acaba con todo lo que amo, mi país, mi pasado, la serenidad, lo que creo, tú, día con día, momento a momento. Entonces voy de camino a una ciudad en busca de no sé qué y tal vez en busca de nada, y así los encuentro a ellos, a todos, esas bestias aladas, esas bestias de cortezas, feroces vorágines de ramas, animales petrificados que han sucumbido al tiempo, como anómalos genes vueltos hojas, células de corteza y olmo.

Uno que otro me da sombra, uno que otro es cobijo del coito de alguien, y el cuerpo donde se esconde edificios, los majestuosos ahora simple decoro, y es a ellos que corro, es en ellos donde me sumerjo con el dolor a cuestas, con el dolor de ser ese alguien que no quise ser, de ser despojo, como todos, de mi propia humanidad. Entonces observo que ellos, los árboles, me siguen, me toman como un bestiario. Veo sus formas atroces de dragones de madera, su figura como mármoles de Rodin y pernoto en bestias que maravillan por lo inusitado, como seres fantásticos emergidos de la tierra, del fango. Tengo miedo.  Corro por avenidas y calles, me vuelco a un parque.

Solo, acompañado solo por el silbido de un temor, acaricio los esbozos de la huida, el paso agigantado por calles de asfalto, por monumentos de un pasado glorioso, ahora solo fachadas de un mundo por el que alguien todavía pelea, se devora, con la encarnizada sagacidad de quien teme perder la razón. Entonces, con el paso temeroso, la llovizna en el cielo, la noche que cae, sin saber donde andar, me pierdo, entre conglomerado de ojos, los del ciego. Un Homero vuelto sauce. Y es así que los encuentro, a todos ellos, las bestias, esas bestias de ramas y hojas, ojos que me siguen y persiguen. Tomo el aliento para seguir huyendo. Mas, no puedo más. Los árboles me llevan a un paraje, el de un bestiario donde nosotros, los de carne y hueso, nos hemos vuelto piedra, un mármol acabado por la lluvia, el dolor mismo, una sepultura de la historia.

 

 

 

 

 

 

 

Es así que los conozco a todos, que los acaricio, que deseo el erotismo bajo la enramada, en el bucólico ser en un espacio anónimo, en un laberinto, eso en un laberinto de árboles; bestias convertidas en árboles tropicales, amazónicos, nórdicos; el mundo entero vuelto ramas y hojas. Acaso son ellos seres como yo convertidos en árboles por algún brujo o druida en su huida del mundo.

Mas, me siento y contemplo, me siento y oigo, y poco a poco, al paso de la llovizna, ese rocío de aire por plátanos de resquebrajada corteza, por gigantes ceibas con flores rojizas, la enramada cae en mí, la enramada soy yo. La hierba se ha vuelto mi cuerpo y todo, todo en torno a mí son seres fantásticos que ahora hablan, me escuchan y me doy cuenta que siempre he sido una bestia, una de ellos y ahora he vuelto casa, luego de surcar el laberinto. Soy un herbolario, una raza de hojas y una corteza que grita y nadie oye, un árbol hermoso que nadie ve, solo los curiosos, copas, que solo las aves tocan, cobijo de parejas que dicen amarse y así vuelvo a mí, me veo la corteza  y te observo vuelta piedra, vuelta desnudez a los ojos del mundo. Muerte y vida en el jardín de las bestias, las de los árboles de Buenos Aires.

 

 

Le regard de Darwin (VI)

Par Karim Moutarrif

 Toi ma fille, cet être qui m’a donné l’amour que personne ne m’a jamais donné, je sais qu’ils vont médire mais ne les écoute pas. Tu es la seule qui me connaît vraiment. Tu es la seule qui connaît ton père. En Amérique j’ai appris qu’on pouvait me coller le sobriquet de looser. Il a fini par m’inspirer une chanson que j’aurais mise dans la bouche de John Lee Hooker, post mortem. En fait ce vieux, c’était moi. Je rentre et je sors de ma vie pour me voir de l’extérieur. D’ailleurs un jour je la chanterais cette chanson. Ton papa t’adore et tu es la prunelle de ses yeux. Mais les batailles de ton papa on fait de lui quelqu’un qui refuse les compromis douteux. Ceux que l’on fait pour survivre dans l’indignité. J’ai toujours rêvé du jour où tout cela s’arrêtera pour vivre le reste en tranquillité avec toi proche de moi. Tu es ma plus belle réalisation, l’être dont je suis le plus fier au monde, la plus belle fleur que j’ai jamais cultivé.

Aujourd’hui, loin de toi je n’ai plus de sens. Je sens une profonde douleur silencieuse qui me taraude en secret, dans le plus profond de mon corps. Un papa a-t-il le droit d’aimer son enfant et de le crier au plus fort sans faire de bruit.

Je n’entends plus « papa » autour de moi. Brutalement. Parfois quand je l’entends dans la rue, il m’arrive de confondre, d’être perdu dans l’espace. Je crois que c’est toi, je deviens fou une fraction de seconde. Je me dis « Mon Dieu j’ai oublié ma fille, quelque part » ; Comme parfois cela peut arriver quand les enfants sont en bas âge. Je m’attends à ce que, en me retournant, je te vois arriver en courant avec un immense sourire pour te jeter dans mes bras et me donner un câlin. C’est ainsi quand tu n’es pas là. Et pourtant, en haut de la vague, la puissance de ma pensée est infinie. J’ai toujours cru  que dans ma tête, ma pensée était un désert sans fin que je parcourais en long et en large, sans être importuné, même dans une foule immense. C’est dans ces moments là que je me ressourçais. Que je rêve de partir avec toi sur un grand voilier pour découvrir le monde, connaissant ta curiosité naturelle, toi qui n’as peur ni des souris ni des éléphants. Quand on écrit la tendresse c’est forcément poétique.

 Elevated view of boy sleeping with stuffed animal

Je pense à toi parce que je suis seul et loin de toi. Mais pas si loin par la pensée. Je t’aime mon enfant, mes tripes, mon sang. Tu es ma muse, ma plus belle source d’inspiration

Sur cette route qu’avaient déjà parcouru mes ancêtres, je me rapprochais de toi. Comme si les dieux de l’Olympe entendaient ma peine muette.

Loin de toi, bohémien à la recherche d’un absolu toujours plus loin, je me sentais coupable. De ne pas être là.

La grande déception ; celle qui se lisait sur son visage, à cet homme qui avait révolutionné le regard sur la vie, c’était de découvrir que l’espèce dite supérieure était pire que les autres. Il s’appelait Darwin. Charles Darwin.

Cependant, un soir, au pays des bédouins je fis une autre découverte qui m’affligea d’avantage. D’ailleurs pour pouvoir assumer sa transcription, je m’étais affublé de la musique de mon ami Jean-Jacques. Fidèle compagnon depuis le dernier quart du siècle dernier. Ce soir là, avec mon ami et mon frère, nous étions emportés par ce que l’on appelle d’un nom peu français, la play station, a simuler une partie de balle au pied, pour ne pas conforter l’usage  des mots anglais à outrance, quand nous entendîmes les chiens aboyer. En fait, nous avions l’habitude, chaque soir une bande de chiens sortis de nulle part, de jour ils n’existaient pas ou ils dormaient, étant donné leurs virées nocturnes. Ils sortaient de la carrière que le peuple avait squatté juste devant chez lui ; Comme les systèmes d’alarmes étaient d’une civilisation lointaine trop sophistiquée, les chiens restaient une valeur sure et un coup de pied pouvait les arrêter. Mais pas la nuit. Ils se mettaient au milieu d’une vaste esplanade et on les voyait confortablement installés ; narguant la gent humaine ; Ils contrôlaient le trafic sur la route et pour peu qu’ils tombent sur quelque proie effrayée, leur soirée était confirmée.

Ce soir là ils se mirent à aboyer comme de coutume, plutôt que d’accoutumée, sauf que dans la chorale des gueules aboyantes, l’une était plaintive.

Mon ami et moi savions que de temps en temps un humain jetait une pierre qui atteignait la cible et un couinement suivait sans plus. Cette fois ci l’aboiement était plaintif et durait depuis un moment, ce qui nous intrigua ; Nous nous enquîmes de l’état des choses et pour ce faire, nous allâmes à la fenêtre. Quelle ne fut pas notre surprise quand nous découvrîmes que la meute s’affairait autour d’un autre chien. Le plus costaud était en train de l’étouffer méthodiquement, l’ayant saisi par la gorge et deux autres étaient déjà en route pour un dépeçage en règle.

Nous fûmes fascinés par la scène incroyable et effroyable qui se déroulait devant nos yeux, impuissants. Soudain j’eus un déclic, et je dévalais les deux étages et sorti, me saisis de pierre et dispersait la meute. Du milieu de cette horde se détacha un chien qui déboula sans demander son reste, je le vis traverser l’esplanade à une vitesse vertigineuse et disparaître dans la nuit. Nous étions persuadés que quelqu’un le retrouverait mort. En fait il ne faisait manifestement pas partie de la bande et mal lui en prit d’avoir quitté son territoire. Sans notre intervention, il aurait été dépecé vivant par ses semblables qui hantaient les alentours à l’état semi sauvage. Il y avait longtemps que je n’avais vu une pareille violence animale

La conversation téléphonique avait commencé par une série de jurons en espagnol. C’était mon hôte qui arrosait son interlocuteur. J’ai entendu cabron, ça me rappelait quelque chose.

C’était Barcelone. J’avais déjà entendu ça adolescent ; en visite chez un oncle, qui habitait une île ibérique. Mais j’hallucinais quand même, vu le ton mi-figue mi-raisin. Je me demandais quelle était la prochaine étape. Mais des mots plus ironiques surgirent. Ironiques mais quelque peu hargneux. Le tout dans une langue ibérique que j’avais peu de mal à suivre ayant moi-même  été moulé au gaulois et au latin. La conversation évoluait, un véritable suspens y persistait. Puis surgit un que tal caro. La tension chuta d’un coup vers un soulagement. Tout au long, je percevais la voix du répondant. Douce et pénitente. Le ton se fit soulagé. Après avoir tiré tous les missiles, intercalés de comment va ta compagne, comment va ta fille et toutes ces cordes sensibles qui vous ramollissent le pire des interlocuteurs, mon hôte glissa sa vraie question..

C’était une joute. Ce fut les affaires qui embarquèrent et là je compris le sens de la comédie humaine. Il était très bon. Même sur la meilleure des scènes, je n’aurais pas vu mieux. En plus avec la motivation. Il voulait lui arracher un rendez-vous mais avec l’air de se faire prier. Il y réussit. On sentait qu’il contrôlait la conversation. Il avait pris la barre et faisait voguer le bateau à sa guise. La nature humaine était fascinante. Dieu que l’on pouvait être fourbe, même si je n’y croyais plus depuis très longtemps. Comment le verbe peut être manipulé pour fabriquer la conviction. Avec le sourire en sus, mais rien n’est gratuit, surtout dans certaines têtes. J’étais spectateur d’un spectacle de la vie en live. Un spectacle qu’aucune caméra ne captera. Et pourtant on peut mieux faire que ça, juste en étant vrai. C’est le seul vrai spectacle, grandeur nature, celui de l’authenticité.

L’hypocrisie était omniprésente, il faut que je le dise. Une hypocrisie de mise ; Et ça me donnait toujours de l’urticaire. Je buvais une bière comme dans certaines contrées on pouvait en boire pignon sur rue. Mais là  dans ces autres contrées où l’on fabriquait le vin mais on prétendait ne pas le boire, comme si les enfants du bon dieu étaient des canards sauvages, on refusait de me servir ou alors il fallait se cacher, pour en boire, c’est terrible. Il fallait donc se sentir coupable avant d’avoir jeté la gorgée pour arroser et calmer les génies des lieux. Je languissais cette  liberté à laquelle j’étais habitué dans ces fameuses contrées ou l’on n’a de compte à rendre à personne.

Parce que justement, j’étais tanné de devoir  rendre des comptes quand je n’avais pas à le faire. Vis-à-vis de qui, vis-à-vis de quoi. Je revendiquais très fort ma liberté. Celle qui m’avait été retirée si souvent, pendant longtemps, sous prétexte que je n’étais pas assez grand pour savoir ce que je faisais. C’est pour ça que j’ai envoyé c…. le roi, mon père et toute cette bande de moralistes faux culs.

Etais je un spécialiste des histoires tordues ? Je ne saurais dire. Je vivais avec ma conscience et je gardais une confiance en la parole de mes semblables contre vent et marée. Il se trouvait que cette confiance me jouait des tours, par le passé comme pour le présent. Mais comme disait l’honorable La Bruyère, vous le croyez dupe mais s’il feint de l’être lequel des deux est dupe. Je trouvais ça fort. Une maxime qui m’a beaucoup aidée chaque fois que je me suis demandé si j’étais niaiseux .

Cette confiance m’avait mené à travers un périple qui avait commencé dans le Nouveau Monde, rebondit en Europe et en Afrique, puis à nouveau en Europe.

Girl enjoying bike ride under sky

Le voyage en Europe était une quête d’amour auprès du seul être qui m’en prodiguait comme je le lui rendait. Ma petite fleur avait décidé de suivre sa mère et moi, j’avais senti que ma vie se viderait brutalement sans la présence de cette enfant. Je devais la suivre, changer de pays quêter du travail et donc recommencer un paquet de singeries qui me donnaient des boutons et pour lesquelles je me préparais psychologiquement.

Je trouvais la Vieille Europe excitée et polluée mais je n’avais pas le choix même si je n’étais plus très compétitif sur le marché du travail. Les amis avaient parfois des attitudes difficilement compréhensibles. Ils vous démolissaient en douceur. Après expérience c’était à se demander ce qu’était l’amitié. Une manière de consolider dans leur tête leurs acquis. Les miens, je n’en parlais pas, ils m’étaient trop chers.

J’étais dans Scarface, la cocaïne était devenu un produit de consommation courante et les consommateurs ne faisaient même plus attention. Il y en avait sur leur bureau, sur l’étagère de la salle de bain, sur le carreau de céramique de la table du balcon. Sur fond de machisme et d’adultère. Avec des femmes straight et des maîtresse nocturnes adeptes de la poudre blanche.

Poursuivies par des hommes frustrés de leur mariage ; après deux ou trois mouflets élaborés ;

Des vies parallèles construites sur le mensonge et la trahison.

C’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce film. Sans argent, j’ai vécu trois semaines dans une agence de voyage pour un voyage surréaliste. C’était tout ce que mon hôte avait à m’offrir.

Une histoire de fou. Il jouait à cache cache. Nous étions parti pour un rendez vous professionnel. Je ne savais pas que c’était sa maîtresse. La rencontre fut tardive et elle se prolongera jusqu’au lendemain. Ne connaissant pas la ville je dépendais de mon hôte qui m’hébergeait également chez lui. Je compris que ce n’était pas la première fois qu’il se payait ce genre d’escapade. Comment pouvais je le savoir. Nous ne nous étions pas vu depuis presque vingt ans. Je fus donc expulsé de la maison pour complicité et dès lors pendant trois semaines j’eus droit à un régime très particulier. Je devins prisonnier. N’ayant pas d réserves financières, je devais en principe commencer le travail avec lui. J’étais venu avec la confirmation que je démarrerais dès mon arrivée ; J’aurais pu devenir fou tellement j’étais isolé. Je vivais dans un local d’agence avec un système d’alarme qu’il fallait actionner sans se tromper, une multitude de portes qu’il fallait fermer. Des conditions d’hygiène très limitées. Je me lavais dans les toilettes et je dormais dans une pièce étroite et sans ouverture. Je ne connaissais ni la ville ni les gens, je n’avais pas d’argent. J’étais un otage et je n’avais d’autre choix que d’attendre ;

Ecrire c’est- ce qui empêche de devenir fou. Ecrire c’est le silence ou un monologue intérieur ou un dialogue entre je et moi que personne n’est prêt à entendre. Châtier le verbe pour aérer ses blessures, pour les soigner à la cendre, de façon vernaculaire pour se rapprocher de ce que nous étions, que nous sommes plus, que nous pourrions  redevenir

En réalité, il fallait finir par nommer les choses. J’étais dans une ville du nord de l’Ibérie, et j’étais, comme Choukri, saoul d’alcool et d’un bon repas et bien paysan. Sans complaisance, on vous plaçait d’office une grosse bouteille de vin sur la table. C’était comme ça ici, on honorait le sang du Christ, comme moi, un païen. 

Heureusement, le train est une expérience onirique grandeur nature. Le paysage qui défile à une vitesse vertigineuse à travers le paysage ; Et nos yeux qui ne peuvent qu’être fascinés. C’est pour cela que l’on glisse très vite dans le féerique et le rêve. Pour l’instant il se glissait dans les entrailles de la ville. De jour nous n’en vîmes point pendant un bon moment mais ce qui devait arriver arriva. Quand nous sortîmes vers le jour le ciel était bas il faisait gris. La voie ferrée était longée de palmiers et plus tard la montagne se découvrit. Comme dans un parc d’attraction, au passage des viaducs on plonge le regard vers le bas pour saisir le vertige de la profondeur, et quand le monstre plonge dans la vallée, les yeux s’accrochent aux maisons agrippées aux versants de la vallée qui nous écrasent en nous surplombant. Le train est chaque fois parc d’attraction qui nous ramène à l’enfance. Et depuis l’enfance c’est toujours la même sensation. Et justement, la montagne se dissipa pour laisser place à la mer. Des jeunes filles se demandaient comment s’appelait cette .mer. La géographie se perdait avec les générations. Le train longeait la route au sortir de la ville. Un trouffion  saoul s’effouarait sur deux banquettes ; Le soleil se couchait tard ce soir et la fin de sa course continuait de nous éclairer.

Je m’éloignais de Barcelone.