Fulvio Caccia
Comment on fabrique une langue de culture ? La réponse serait simple en apparence. On fabrique une langue de culture en l’écrivant, tout bonnement ! Dès la formulation de cet énoncé, surgissent pourtant d’autres questions, toutes aussi complexes. Qu’est-ce qu’écrire ? Qu’est-ce qu’une langue ? Qu’est-ce qu’une culture ? Qui écrit ? Pourquoi ? Comment ? En les posant abruptement, nous entrons de plein pied au cœur du débat complexe sur la culture aujourd’hui.
Qu’est-ce qu’écrire ?
Essayons de répondre d’abord à cette première interrogation. Ecrire, « c’est tracer un ensemble organisé de signes » nous dit le dictionnaire. C’est donc une forme d’expression. Elle consiste à extérioriser, communiquer un sentiment, une information en dehors de soi. Cette manifestation passe d’abord par le son ou mieux, le son articulé-la parole- qui est le plus petit commun dénominateur significatif du système d’expression et de communication qu’on appelle la langue. La parole humaine se distingue du cri et du langage animal non pas par sa faculté d’expression, ni par la communication mais bien par sa capacité de conviction. C’est d’ailleurs le sens latin de parauala de parabole, qui veut dire « comparaison ». Si on compare, on évalue, on interprète.
La conviction, selon le sociologue Philippe Breton, découle d’une désadaptation fondatrice du préhominien consécutive à un accident géologique qui le confronte à devoir inventer une parole qui ne soit pas seulement informative mais « en perpétuelle recherche de son adéquation avec le réel i» C’est cet écart permanent, cette distance au monde qui se remplit de sens et qui par conséquent autonomise la parole par rapport au langage animal. La parole donne lieu à tous les mensonges et toutes les manipulations, mais permet également à l’homme d’agir sur son environnement individuellement et collectivement.
L’écriture, elle, n’est pas une langue mais un système de notation qui dérive souvent de l’instrument qui sert à inciser le signe sur le support : le stylet « skariphos » (grec) gratte les tablettes de cire comme la plume le papyrus ou le parchemin. La racine indo européenne Gerbh, plus ancienne, implique aussi le calame par lequel les caractères sont fixés sur la tablette d’argile et qui donnera plus tard le terme «grammaire». Mais que cherchait-on ainsi à sauver de l’oubli ? Je vous le donne en mille : l’inventaire des biens, la comptabilité des impôts, l’enregistrement des actes juridiques que les premières accumulations de surplus de l’histoire ont produits. Ce n’est pas par hasard si les civilisations mésopotamiennes et égyptiennes ont été également celles qui ont mis au point ce système de notation de signes il y a plus de 5000 ans.
Car écrire c’est d’abord une mnémotechnique de la gestion. L’écriture naît du surplus et par conséquent de l’avènement de l’Etat au sein de collectivités ayant dépassé le stade de la survie et de la transhumance. C’est-à-dire dans des sociétés en mesure de pouvoir se projeter dans le futur, de le planifier. Cela implique déjà une représentation de soi et des autres et de son environnement dans la durée.
Aller au plus pressé par le plus court chemin. L’essentiel du processus du devenir homme peut se résumer dans cet incessant travail de symbolisation qui permet à l’homme de s’abstraire de son milieu pour mieux le comprendre et donc d’agir sur lui. Symbole, symbolisation qu’est-ce à dire ? Le « symbolom » désigne à l’origine un signe de reconnaissance, coupé en deux dont deux hôtes conservent chacun une moitié et qu’ils transmettaient à leurs enfants. En rapprochant les deux parties, on faisait la preuve que des relations d’hospitalités avaient été contractées. Le Symbole est donc un relais pour relier dans le temps (symbolein) ce qui a été coupé en deux, séparé (diabellein). Notons au passage que ce mot grec nous a donné « diable ». Le diable à la lettre est celui qui sépare. Et l’ont voit ainsi fonctionner dans toute sa splendeur la mécanique binaire – séparer, relier- par laquelle l’esprit humain cherche à pallier son manque, son sentiment de séparation.
C’est parce que, à la différence de l’animal, il a conscience de sa fragilité, de son inadaptation, que l’homme invente sans cesse des représentations (divines, culturelles, politiques) et des techniques pour se rattacher autrement à son environnement et convier le plus grand nombre à en faire autant.
L’écriture ne fait pas exception à cette dynamique de séparation et d’unification, ou encore pour reprendre une notion chère à aux philosophes français Deleuze et Guattari, de territorialisation et de déterritorialisation. En se développant d’abord sur sa forme pictographique, puis idéographique, et enfin syllabique, et même aujourd’hui numérique, l’écriture va accélérer le processus de subjectivation et d’abstraction qui va permettre à l’homme d’avoir accès à des domaines de connaissances et de compétences jusqu’alors insoupçonnables. Comment ? Par un phénomène que les linguistes appellent l’arbitraire du signe. Qu’est-ce à dire ?
Le signe ne renvoie plus à une représentation mais par pure convention à un son unique qui, assemblés en syllabes produira un signifié qui désignera sans ambiguïté un seul objet : un seul signifiant. Par exemple le mot « maison » composé de deux syllabes désignera un objet réel : maison.
Signifié et signifiant sont cul et chemise, ils fonctionnent de pair afin que la langue fasse son boulot qui est d’établir une compréhension univoque entre les membres d’une même communauté. C’est ce moteur à deux temps qui permet la construction de l’identité. Construction qui s’accélère lorsque la langue passe de l’oral à l’écrit.
En écrivant, et en lisant, processus inséparable, on s’affirme, -on s’exprime donc-, face à sa propre société en tant qu’individualité séparée mais par ailleurs rattaché à elle sur le plan symbolique. C’est ainsi que la communauté devient du coup non seulement locale, mais nationale et, par le biais de la traduction, transnationale. C’est ce qu’avaient compris les pères de la Révolution de 1789 et plus tard ceux de l’école laïque. En scolarisant les enfants, on les sort non seulement de leur dialecte local, maternel, mais on leur inculque, non sans une certaine violence une autre langue, normée, et par conséquent compréhensible à l’ensemble des citoyens de la Nation, une langue qui permettra plus tard aux enfants devenus grands de participer à la nouvelle culture (nationale) unifié par la volonté d’un seule autorité : le roi ou le chef d’état.
C’est pourquoi la langue de la culture est d’abord au sens strict une langue « étrangère », diabolisée , i.e séparée de la langue d’origine, la langue de la mère que l’on apprend en suçant le lait maternel diront le poète Dante Alighieri et plus tard Cervantès. Mais il n’en fut pas toujours été ainsi. La langue de la culture fut dans un premier temps langue des origines, de premiers attachements, « commune à tous les hommes » (Dante) qu’il s’agira de hisser au niveau de langue de la Cité et de la Loi. La réside le second niveau. La langue de la justice devient ainsi la langue véhiculaire. Elle est partout. C’est ainsi qu’elle pourra devenir par la langue de la culture, donc langue de référence. Ceci constituant le 3e niveau d’élévation. Même s’ils appartiennent à deux registres différents, la langue de la loi et la langue de la culture fonctionnent de concert et ont tendance à maintenir la langue maternelle dans une situation d’infériorité.
Un peuple sans histoire et sans littérature
On aura reconnu dans cette sujétion, les luttes d’affirmation nationale et de décolonisation qui ont jalonné l’histoire contemporaine. Permettez-moi ici d’illustrer par un exemple la manière dont le fait littéraire et donc de l’écrit fonde et assure l’espace politique. Je veux ici rappeler le combat de l’élite canadienne française pour se doter d’une littérature durant les années 1840. Deux ans plus tôt, une rébellion populaire avait été écrasée dans le sang dans la nouvelle colonie anglaise du Canada.
Le Parlement anglais dépêcha Lord Durham, un émissaire plénipotentiaire, qui préconisa l’assimilation culturelle et linguistique pour cette minorité francophone perdue sur continent devenu anglo-saxon qui n’avait selon ses termes « ni histoire ni littérature ». C’était d’après lui, ce qui pouvait arriver de mieux à ces descendants de cette colonie de souche blanche et européenne. Or cette recommandation poussa l’élite francophone d’alors à répondre à ce défi en écrivant dans la foulée la toute première histoire du Canada (François Xavier Garneau) et les premiers ouvrages dont le premier roman ( Philippe Aubert de Gaspé) de leur jeunes littérature!
Il peut aussi arriver que la langue de maternelle devienne ipso facto langue de culture, mais sa diffusion s’en trouvera à terme empêché, ce fut le cas du toscan durant le 15e et 16e siècle. Il peut survenir également que langue sacrée, devienne la langue de la cité et de la Loi. Ce fut le cas de l’hébreu au sein de l’Etat d’Israël qui supplanta le Yiddish des ashkénazes et le ladino des sépharades).
Car pour imposer une langue maternelle en tant que langue de la loi et langue de culture : il faut un pouvoir fort, ou du moins un pouvoir qui trouve en son sein, sa légitimation, sa souveraineté. Tel fût le cas de la monarchie et plus spécifiquement de la monarchie française qui acquis sa souveraineté en se positionnant entre le pouvoir temporal (impérial et déclinant) et le pouvoir spirituel (ascendant) de l’Eglise.
Lorsque François 1er signe l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en instituant le français comme seule langue juridique du royaume en 1539, il permit dix plus tard, à cette langue alors très minoritaire de commencer son processus d’accumulation symbolique par lequel elle deviendra la langue de référence, soit langue de la culture en l’Europe au XVIIIe siècle.
Du clerc à l’homme de lettre
C’est la classe des clercs qui rend possible cette transformation. Les clercs s’émancipent alors du pouvoir de l’Eglise pour embrasser la cause du roi. Ce changement d’allégeance est aussi un changement de statut : le clerc explique Régis Debray, se transforme en homme de lettre. Il délaisse le latin ou le grec pour la nouvelle langue véhiculaire défendue par la monarchie. Mais parmi ces gens de lettres, l’expression date de cette époque, c’est le poète qui sera particulièrement déterminant. Pas de langue de culture sans lui.
C’est le poète qui est le premier grand ordonnateur de l’espace public en train de naître sous la pression de la compétition interlinguistique et des nouvelles techniques de reproduction de la langue. Comment s’est effectué ce retournement ? Il est important de rappeler ici que le choix de la langue écrite est toujours l’expression d’un seul. C’est un acte d’abord individuel et qui demeure toujours à ce titre l’expression d’une singularité comme l’enfant ou l’adulte qui, un jour commence l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. La naissance du langage chez l’enfant nous permettra de comprendre ce qui se joue justement à travers la langue de la culture. A cet égard la contribution de la psychanalyse nous sera précieuse.
Le nom du père
On sait que le nourrisson se trouve dans une relation fusionnelle avec le monde qui l’entoure en général et sa mère en particulier. La mère est l’unique objet de son désir. C’est le surgissement du père et, plus particulièrement, de son nom qui lui signifie que sa mère est aussi l’objet de désir d’un tiers et qu’il devra apprendre à la partager. Cette frustration s’accompagnera de la conscience qu’il est un être séparé, distinct du corps de sa mère ; bref qu’il est incomplet. Et c’est précisément cette frustration, cette angoisse qui engagera l’enfant sur le chemin du langage et de la culture. Lacan nous apprend que le nom du père a justement pour fonction de séparer l’enfant du désir de sa mère en l’obligeant à se relier à elle symboliquement par la langue afin de devenir autonome par l’acquisition de la parole.
Ce qui se passe chez le nourrisson n’est pas étranger au développement identitaire des peuples. C’est ce que nous enseigne Dante. Le poète florentin dont nous avons parlé fut l’un des tout premiers avoir compris ces enjeu et à l’avoir exprimé d’abord dans son art poétique « Du vulgaire illustre » il y a plus de 700 ans et ensuite dans sa poésie. Il affirme sans ambages qu’il faut préférer à la langue savante, la langue la plus commune, la plus proche, la langue première de l’amour. Cette langue maternelle, honnie, populaire, méprisée par l’élite, méritait à ses yeux d’être hissée au rang des plus grandes.
Plus d’un siècle et demi plus tard, cinquante ans environ après l’invention de l’imprimerie, dix ans après l’ordonnance de Villers-Cotterêts, Du Bellay et les poètes de la Pléiade affirment haut et fort une « défense et illustration de la langue française ». Ce faisant, ils n’écrivent pas simplement le premier véritable manifeste littérature, ils inventent la nation même de littérature nationale.
Les honnêtes gens
Le français, première langue de culture de l’époque moderne, attire désormais à lui tout ceux qui veulent toucher le plus grand nombre ou du moins ce qu’on appelle au XVIIIe siècles : les honnêtes gens. Or les honnêtes gens ne parlent plus grec ou latin, souvent ils l’ignorent : ils parlent français. Ils sont friands d’oeuvres courtes, vives écrites avec style et correspondant désormais non plus au modèle classique latin ou grec mais à la nouvelle réalité sociologique dont ils sont les représentants : la bourgeoisie. Ces honnêtes gens vont constituer le public lecteur auxquels s’adressent désormais les écrivains non seulement français mais également européens. Ce sont eux qui imposent la (nouvelle) langue de culture au nez et à la barbe de ceux qui en ont été jusqu’alors les dépositaires : les savants érudits qui parlaient latin et grec et que les comédies de Molière écrites en français justement brocardaient.
La nouvelle classe moyenne mondialisée
On peut se demander qui est aujourd’hui le public susceptible d’appuyer et de promouvoir la langue ou les langues de la culture de nos jours. Cette question est au cœur du débat sur la mondialisation et sur la diversité culturelle qui se déroule actuellement, nous sommes à la fin de septembre, au sein de l’Unesco.
Car contrairement à ce que l’on pourrait penser la mondialisation n’impose pas obligatoirement une langue nationale – en l’occurrence l’anglais- par le nombre et le poids stratégique et économique de ses interlocuteurs. Il serait à nos yeux, trompeur de réduire cette question à une simple équation technico-économique. Si l’anglais est dominant dans le domaine de la technique informatique, il ne l’est pas nécessairement en tant que culture. Il convient ici de lever la confusion entre culture savante et culture de masse devenue aujourd’hui culture de divertissement.
Qu’est-ce que la culture ?
Il est opportun de rappeler que la culture n’est pas d’origine grecque mais latine et renvoie primitivement au rapport de l’homme avec la nature, que les Latins étaient soucieux tout à la fois de faire produire (l’agriculture) et d’honorer (le culte). Cicéron aurait été premier à l’appliquer aux choses de l’esprit en tant que « cultura animi ». Car pour les Latins, il s’agissait de « cultiver son esprit comme on laboure un champ ». De ce fait, la culture se trouvait en harmonie avec la nature et participait de plein pied à l’éducation du citoyen romain. Cette acception connaîtra ensuite une longue éclipse et il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que l’allemand réintroduise la métaphore latine en tant que « civilisation envisagée dans son caractère intellectuel » (Le Robert Historique).
A début du XIXe siècle, la nouvelle élite allemande issue des villes réactive le terme «Kultur» en l’opposant à «civilisation» d’origine française qui suppose une hiérarchie, une décision et qui renvoie surtout aux « arts et aux lettres ». «Kultur» s’oppose à la notion de « civilisation » d’origine française qui, elle suppose une hiérarchie, une décision. Les Allemands Kant mais surtout Herder ne sont pas étrangers à cette acception consensuelle et non hiérarchique qui institue le peuple en tant qu’acteur de l’histoire. Dès lors, la culture finira par s’imposer en annexant l’acception impartie à « civilisation » et à sa matrice -les Beaux-arts – qui lui appartenait de façon intrinsèque. Cette confrontation perdurera tout au long du XXe siècle et marquera même la fondation de l’Unesco qui, à ses débuts, penchera plutôt pour la première définitionii. Il faudra attendre les années 1980 et la conférence de Mexico pour que cette instance propose une acception de la culture qui « englobe, outre les arts et les lettres, (c’est moi qui souligne) les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».
L’homme cultivé, issues de la bourgeoisie saxonne, prenait ainsi définitivement le pas sur l’homme civilisé dont le modèle était le noble français. Ainsi donc les traditions et les croyances deviennent équivalents aux lettres. Ce relativisme introduit dans la définition de la culture n’est pas étranger au développement de la culture de masse par la suite.
La culture de masse tel que le théorise les philosophes de l’école de Frankfurt est énuclée de sa valeur d’usage, c’est-à-dire de son statut, elle ne vaut que par sa capacité à se déterritorialiser à l’intérieur des circuits d’accélération capitalistique : par sa valeur d’échange. Marx en son temps avait vu se profiler ce péril. C’est pourquoi il distinguait les choses en tant que produites et utilisées par les hommes et leur valeur dans la société. « Son insistance sur l’authenticité plus grande de la valeur d’usage, sa description fréquente de l’apparition de la valeur d’échange comme une sorte de péché originel au commencement de la production marchande reflètent sa reconnaissance impuissante et pour ainsi dire aveugle de l’inexorabilité d’une imminente « dévaluation de toutes les valeurs », explique Hannah Arendt.
La mondialisation préfigure-t-elle cette apothéose prophétisée par Marx ? Là est toute la question. On pourrait inférer que si le nadir renvoie au zénith, la dévaluation appelle résolument la réévaluation de toutes les valeurs. Le débat sur la diversité culturelle saisit peut-être dans son ambivalence la double nature de la culture : sa valeur d’usage et sa valeur d’échange. Par les savoirs et la maîtrise technique qu’elle concentre sur un support, un objet, la culture est matière et de ce fait participe de la sphère du privé et de l’économie chère aux Grecs. Mais elle est aussi porteuse d’une vision du monde, d’une spiritualité et de ce fait participe de la sphère publique. D’où la difficulté de lui assigner un espace en propre, surtout à un moment où la technologie des savoirs et de la communication est devenue, malgré les crises récentes, la locomotive de l’économie mondialisée.
Le nouvel honnête homme
C’est pourquoi nous pensons que c’est le langage numérique -et non plus une langue nationale- qui se trouve dans la position d’être la nouvelle langue de la Cité virtuelle et mondialisée. Ce qui par ricochet place ipso facto toutes les langues dans la compétition. Le plus anciennes, les mieux dotées jouissant de ce fait de plusieurs longueurs d’avance. A terme, dégoupillée de sa puissance hégémonique, la langue d’une nation, malgré le danger qui la menace, retrouve ainsi la dimension qu’elle n’a jamais cessé d’avoir et ce, d’autant plus que la mondialisation généralise de plus en plus les déplacements et les migrations. Conséquence. Elle permettra à une frange de la classe moyenne en phase de mondialisation, de jouer un rôle prépondérant dans le débat sur la nouvelle langue de la culture.
Issue de l’immigration et de la décolonisation, cette population transculterelle, à cheval sur plusieurs langues et plusieurs pays, a en commun un certain nombre d’habitudes et de valeurs, de tournures d’esprit qui se démarquent des clivages et des idiosyncrasies nationales. Elle peut jouer le rôle des « honnêtes gens » qui au XVIIe siècle ont servi d’instance de réception aux lettres et à la culture en phase de mondialisation. Si elle possède des affinités transnationales ; ce n’est pas en tant qu’elle participe de la traditionnelle élite de haut fonctionnaires, de diplomates, de cadres supérieurs, et d’universitaires qui de tout temps ont sillonné la planète, mais bien qu’elle résulte des
transformations sociales issues d’une même expérience : celle de l’immigration et de la décolonisation. Dans ces cas précis, la logique d’intégration et de l’ascension sociale n’est pas la même.
La redécouverte de ces héritages amène naturellement une partie de cette classe moyenne à jouer un rôle d’interface entre les diverses cultures dont elle est la dépositaire. Or cette inter-médiation est mal connue et reconnue. Une meilleure prise en compte de son rôle contribuerait à donner cette légitimité populaire qui fait défaut à la Déclaration universelle de la diversité culturelle et que ne considère pas suffisamment des politiques du multiculturalisme généralement axées sur la conservation des particularismes plutôt que sur leur transformation. Pourtant la valeur ajoutée de la diversité culturelle en tant que patrimoine de l’humanité réside bel et bien dans sa capacité à redynamiser les cultures nationales. Et par conséquent ses langues. Cette classe moyenne mondialisée en phase d’émergence, constitue de fait l’assise de la société civile mondiale dont il faudra tenir compte dans une stratégie de valorisation de la diversité linguistique. Mais plus encore pour la valorisation de la parole citoyenne dans l’espace public.