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Quelques réflexions sur la sociologie aujourd’hui en France

Sophie Jankélévitch

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A propos du livre de Bernard Lahire, Pour la sociologie et pour en finir avec une prétendue « culture de l’excuse », Paris, La Découverte, 2016 .

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Il peut sembler étrange, en 2016, presque cent ans après la mort de Durkheim, de voir la sociologie toujours accusée de nier la liberté humaine et de destituer l’individu de sa souveraineté. N’était-ce pas là déjà ce qui était reproché, au tournant des XIXe et XXe siècles, au fondateur de la sociologie française ? La nouvelle discipline ne s’est pas imposée dans l’Université sans provoquer de vives résistances ; l’auteur des Règles de la méthode sociologique, aux yeux d’une tradition universitaire très conservatrice, était coupable de faire voler en éclats ‒ suivant les traces de Spinoza ‒ la croyance dans un libre-arbitre autonome et tout-puissant, et de ne voir dans l’individu qu’un simple produit de la communauté, dans ses comportements comme dans ses représentations, ses projets ou ses désirs les plus intimes.

Ce sont pourtant ces mêmes résistances qui s’expriment aujourd’hui derrière les reproches adressés à la sociologie par un certain nombre d’intellectuels, de journalistes ou d’hommes politiques. Et bien sûr, les conflits théoriques, voire philosophiques, sont porteurs – comme ils l’étaient à l’époque de Durkheim – d’enjeux politiques particulièrement forts dans le climat actuel de la France. Les tensions à la fois révélées et exacerbées par les attentats de janvier, puis de novembre 2015 à Paris ravivent une controverse qu’on aurait pu croire éteinte, ou du moins apaisée, après plus d’un siècle de travaux sociologiques publiés en France et ailleurs…  Il était nécessaire de prendre la défense de la sociologie : c’est la tâche à laquelle  Bernard Lahire consacre son dernier livre. Il y rappelle la force critique et le pouvoir explicatif du regard que porte cette discipline sur la réalité humaine, mais surtout il s’attache à réfuter la principale accusation portée contre elle : la sociologie ne serait qu’une vaste entreprise de justification de la délinquance en général. Contextualiser les incivilités, les actes de terrorisme ou les crimes reviendrait  à excuser leurs auteurs ; chercher à reconstruire le parcours singulier d’un élève en échec scolaire, d’un kamikaze, d’une prostituée ou d’un trafiquant de drogue à partir des expériences qu’ils ont vécues et des contextes sociaux, économiques, culturels et familiaux  dans lesquels ils ont évolué, ce serait  simplement les déresponsabiliser. La sociologie est ainsi accusée par ses adversaires de diffuser ce qu’ils appellent une culture de l’excuse… Mais elle n’est pas la seule visée. Il est clair que les sciences sociales dans leur ensemble le sont également (on pourrait, par exemple, en arriver à reprocher à des historiens comme Raul Hilberg ou Christopher Browning, ou à des chercheurs en psychologie sociale comme Harald Welzer, d’avoir justifié les bourreaux nazis parce qu’ils ont mis à jour la logique du processus génocidaire et essayé de comprendre comment des « hommes ordinaires » deviennent des « meurtriers de masse »…)

Il est difficile de vaincre les résistances, parce qu’elles proviennent d’une vision du monde ancrée dans une sphère non rationnelle, mais affective : chacun est maître de son destin, choix et comportements sont le fait d’une volonté  individuelle que rien ne détermine en amont, la réussite d’une vie n’est due qu’à des dons naturels (et les inégalités sont donc elles aussi de nature…)  Toute mise en cause de ces croyances suscite, encore aujourd’hui, de vives réactions émotionnelles. Mais on peut en revanche dissiper les malentendus et les différentes formes de méconnaissance dont la sociologie continue d’être l’objet. C’est ce que ce livre s’attache à faire, en déconstruisant certaines idées reçues dont la plus répandue est sans doute la confusion entre expliquer, comprendre et excuser.  Le contexte social et politique d’aujourd’hui donne un relief particulier à quelques problèmes centraux que la sociologie a affrontés dès sa constitution comme discipline scientifique : le rapport du fait et du droit, la question du déterminisme et du sens à lui donner dans le champ des phénomènes sociaux, la place de l’individu.

Au risque d’enfoncer des portes ouvertes depuis déjà un certain temps (mais qui ont tendance, en ce moment, à se refermer…), il faut quand même rappeler que la connaissance scientifique est désintéressée. Elle n’a pas pour objectif premier de transformer la réalité, mais de la connaître, en dégageant des régularités dans la profusion des faits qu’elle observe, décrit et classe. Elle dit ce qui est, non ce qui doit être. Là encore, la posture du sociologue est analogue à celle de Spinoza (que cite Lahire et dont Bourdieu lui aussi revendiquait l’héritage) face aux choses politiques : mettre ses soins « à ne pas tourner en dérision les actions des hommes, à ne pas pleurer sur elles, à ne pas les détester, mais à en acquérir une connaissance vraie »  (Traité politique, chapitre 1). Mais si le savant s’abstient de porter un jugement de valeur sur ce qu’il étudie, cela ne l’empêche pas d’avoir, de par le choix de son objet, sa grille d’interprétation ou son engagement dans la cité, ce que Max Weber appelait un rapport aux valeurs, et qu’il distinguait, justement, de l’appréciation morale. C’est la confusion des deux qui amène à voir dans la sociologie une « culture de l’excuse ». Préférer vivre dans une société qui respecte les droits fondamentaux des individus, et dans laquelle la sécurité ne soit qu’un moyen de garantir la liberté,  celle-ci restant la fin dernière de toute organisation politique, privilégier la prévention par rapport à la répression, l’éducation par rapport à la coercition, cela ne signifie aucunement qu’on cautionne les actes de délinquance et n’interdit pas à la justice de faire son travail. Par ailleurs, la suspension de toute visée d’action immédiate sur la réalité et l’effort vers plus de détachement affectif – autant  que faire se peut– à l’égard des actes en question et de leurs auteurs (la « distanciation » dont parlait Norbert Elias) sont aussi ce qui permet à la sociologie d’avoir un intérêt pratique : comprendre les processus à l’œuvre dans la transformation d’un délinquant « ordinaire » en criminel ou en terroriste, par exemple, aiderait à trouver des solutions durables et à prévenir l’apparition de comportements répréhensibles.

Quant au déterminisme, la défense de la sociologie consiste d’abord à dépasser la classique opposition de la société et de l’individu que Lahire, dans le sillage d’Elias, se refuse à considérer comme deux réalités séparées, extérieures l’une à l’autre, telles le sel et le poivre (la formule est d’Elias), dont la première agirait mécaniquement du dehors sur la seconde. Le rapport entre société et individu ne doit pas être pensé en termes d’influence, mais d’interdépendance ; dans cette perspective, l’individu est tout sauf un produit passif de la collectivité. Il se constitue par le réseau des relations et le contexte dans lesquels il est inséré ; la sociologie, loin de le déprécier, lui donne au contraire une dignité, en lui restituant l’histoire et l’expérience sociale qui seules peuvent rendre compte de son parcours singulier. Accuser alors la sociologie de ne faire aucune place à l’individu relève au mieux de la méconnaissance, au pire de la paresse intellectuelle  et de la mauvaise foi, puisqu’elle cherche au contraire à le comprendre dans sa singularité, à rendre intelligibles ses choix, ses errances, ses succès et ses échecs. Il n’est rien dont elle doive renoncer à rendre raison, et la libre volonté auto-engendrée pour expliquer un acte ou un comportement n’est que le refuge de l’ignorance. Il ne s’agit pas de nier la volonté qui se manifeste par des choix, mais  de la voir comme un effet et non plus comme une cause. C’est alors seulement qu’on est en mesure d’analyser, entre autres, les situations de domination. La volonté individuelle a une genèse, les choix ne sont pas faits dans un vide, mais toujours à partir d’un ensemble de conditions familiales, affectives, culturelles, sociales, économiques, d’un enchaînement de situations qui ont ouvert des chemins (et en ont fermé d’autres). Ainsi, on voit bien qu’un « contexte » ne détermine jamais  directement l’existence d’un individu, contrairement à l’image caricaturale de la sociologie que les détracteurs de cette discipline présentent à l’opinion publique ; il ne fait que délimiter un espace de possibilités.

La formation du citoyen n’est certes pas une préoccupation nouvelle en France, mais depuis les attaques terroristes de janvier 2015 à Paris, on assiste à un véritable déferlement d’injonctions bien-pensantes et de discours édifiants, qui s’adressent en particulier aux « jeunes ». L’institution scolaire est bien sûr concernée en priorité. Journées «  laïcité », enseignement civique et moral incluant notamment l’apprentissage de la Marseillaise et la connaissance des symboles de la République, affichage obligatoire dans tous les établissements scolaires de ces symboles, de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 et, depuis 2013, de la Charte de la laïcité, l’Education nationale n’épargne aucun effort pour faire pénétrer dans l’esprit des écoliers, collégiens et lycéens français les fameuses « valeurs de la République ». Transmettre et faire partager ces valeurs n’est plus seulement une « mission », mais, aujourd’hui, l’une des « compétences » professionnelles des enseignants…

On a déjà vu plus haut comment la compréhension sociologique, en resituant les actes humains dans leur contexte et en en éclairant les déterminations, peut offrir une alternative au recours à l’autorité répressive pour résoudre les problèmes que rencontre notre société. De façon parallèle, dans le champ de l’éducation, l’esprit sociologique pourrait représenter une alternative à cette approche moralisatrice, largement dominante en France, de la question de la citoyenneté. Argument supplémentaire en faveur de la sociologie et de la fonction qu’elle pourrait avoir aux côtés d’autres disciplines, selon Lahire, si ses acquis et les « habitudes intellectuelles » qu’elle met en œuvre étaient enseignés dès l’école primaire (au prix des adaptations pédagogiques nécessaires). Plutôt que de prêcher la tolérance et le respect de la différence, on pourrait sensibiliser très tôt les élèves à la diversité sociale, culturelle et religieuse du monde : par la pratique de  l’observation, de la comparaison, de l’enquête, de la description à l’aide d’un vocabulaire approprié, par l’apprentissage des langues étrangères, vivantes et mortes, à travers lesquelles ils découvriraient d’autres manières de penser, de sentir et d’organiser la réalité, par l’histoire et la géographie, par la littérature (La comédie humaine, les Essais de Montaigne, Les Buddenbrook, Le guépard, pour ne donner que ces exemples,  sont aussi à leur façon des œuvres sociologiques, ou à dimension sociologique). La plupart de ces disciplines sont bien entendu déjà enseignées, même si certaines comme les langues anciennes sont aujourd’hui menacées. Mais, généralement réduites à leur enjeu purement scolaire dans la panoplie des « compétences » à maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire,  elles le sont rarement dans le but de faire acquérir aux élèves des façons de questionner, de réfléchir, de percevoir le monde. C’est pourtant ce à quoi devrait s’employer l’institution scolaire, au lieu de fabriquer des individus formatés et disposés à accepter comme naturelles les positions dominantes ou dominées que les circonstances de la vie leur feront occuper.

island

Hugh Hazelton

 

dreamwaves

engulfedenfolded

on summerbed

breaking southernly

on the nightshore

wind lightly rattling

the blinds

from beyond

the whispering stars

swimming through darkwater

darkdarkdarkdarkdarkwater

frog stroke     frog stroke    underwater

and then up ever up to filtering curtained afternoon airlight

sidestroking breaststroking crawling

hhhhhhhooooouuuuuuuuuuuu

wwwwwhhhhhooooooouuuuuuu

hhhhhhhooooouuuuuuuuuuuu

wwwwwhhhhhooooooouuuuuuu

across

the softswells of smoothwater

toward the offshore

island

I’d so oftenseen

off to the north

visited on sunspilt

young days with friendsandcousins

by rowboat

IMG_2984
credit photo: Angel Mota Berriozabal

 

 

but now swimming

water splashing overeyes

sun wavering refracted

through saltdrops

the farthest I’ve everswam

out of the bay

its quietsea

on the outgoing tide

to the cove entrance

where someone is calling

someone who is that someone calling

a voice I know

who is she calling

the woman now or past

from the lastrocks

though no one’s visible

reaching out to me across air and years

was it anothertime

 

diving again

froglike           froglike

deeper into

the waving indistinct

forms of kelpstrands with podheads

feeling them brush against my armslegs

no they’re not wrapping around me

as I used to fear whenachild

I’m just moving through them

like anyfish

yes maybe I can feel their hands though

time to rise for airagain

back to the crystal surface

breathe deeply floating and then

return divingdown

the wrackfaces quavering

calling my name again

why have you left us here

down farther down

down as far as I can go

and still be able

to rise again

why have you abandoned us

we who suffered below

jetisoned our feetandhands chained

into the sargasso seas

listenlistenlistenlisten to us

long sea laments

why was this done to us

airagain airagain airagain

rising the kelp slipping

from along my legs

breathe

 

IMG_4736
Credit photo: Angel Mota Berriozabal

 

backstroking quietly

hills to the left

gesturing to the island

harbour point which I’ve passed

the wind freshening

ocean waves now

seawater drying on my face

and the sun above

through the waterfilm

across my eyes

sun and waterbug backswimmer

like the flat oval insect I found with my sister

scissoring across the depths

the water dark blue now

just being

floating

upon liquid beneath sunair

the crinoids far behind

their fossil stems turned to luckystones

my jellyfish tentacles

propelling forward

toward the rocksand island

where no ambulatory life yet lives

long before legsfeet and lungfish

hopped about in the mud

but covered with hardy plants

grown lush in summer

nothing here needs me

though I need everything around me

humanjelly tentacles sting and wither

whatever they touch

a medusa propelling itself across the seas

and coming ashore to an untrodden garden

with acid arms pumping out neurotoxins

into other lifeforms

 

IMG_3691
Credit photo: Angel Mota Berriozábal

 

tiring

my limbs of stone

Perseus has flown over me

the sun is too hot

turn facedown quiet butterfly

waves calming as the island comes closer

pushing me forward

drifting on them because

I have to have enough force

to get back

the ancient pilings of the old lighthouse pier

rise glistening with algaecovered heads

from the seafloor

covered with fineslime

slippery as the eels that live among

the rocks once thrown down

to hold the structure

collapsed and washed away so long ago

where fishlive now oblivious

to the blind stone eye

of the lighthouse the keeper gone

a century ago coming in now

to the tiny beach flanked by boulders

of a rockscrub island

feet at last touching sand

slipping on rock

 

here I am

alone amid the sunwaves

breathing deep sodeep

lungdeep now after gills

the first fish to walk the land

lie back relaxing

on the heated sand

as long as you want

waiting for the tide to change

and flow to shore again

before making the tripback

if I can

I’m thirsty really thirsty

musthave swallowed toomuch seawater

did they know I left

did I tell anyone I was going

the voice that was calling to me

to come back to those people

still waiting forever waiting

looking seaward from the point

the cove sofaraway now

I’m tired but best to startsoon

now that the tide is running back

and before the offshore wind comes up

and the sun starts to set

perhaps I can closemyeyes justalittle

justabit quietly won’t sleep can’t miss the tide

just for a fewseconds fewseconds just

 

the dreamswimmer hesitates

forever coming up for air

on the bed of darkness

with stars turning swirling over water

 

 

Sembrar y volver a creer; Haida Gwaii, On the Edge of the World

 

Ángel Mota Berriozábal

Observando el río San Lorenzo, desde el oxidado y vetusto puerto de Montreal, seguí las líneas del agua, los trozos de hielo que se escurren por la corriente. Vorágine que azotó navíos por tantos siglos. Una de las aguas más peligrosas del mundo por sus numerosas corrientes y diversidad de fondos marinos. Y en ese río, grisáceo, imaginé todo el estiércol que ha sido evacuado en su organismo. El alcalde de la ciudad, Dennis Coderre, decidió abrir las cañerías de la urbe para verterlas al San Lorenzo. Con esta observación, desde el puerto, pensé con ese calor anormal de otoño, en los cambios climáticos, provocados por la contaminación y el exceso industrial humano. Me sentí y siento como microorganismo, parásito, entre fábricas, humo, mierda y la prosa de la destrucción urbana. Lo cierto no veía ninguna solución a esta depredación y paulatino deterioro de todo en la isla de Montreal y el mundo.

Por ello, cuando mi amiga mexicana-canadiense Dafne Romero me invitó, desde la British Columbia, a ver el documental que coordinó como productora; Haida Gwaii, at the Edge of the World, nunca imaginé que ir a ver su trabajo en la Universidad de Quebec en Montreal, donde se proyectó, pudiese obsequiarme eso que precisamente me hacía falta; esperanza y deseos de volver a creer y sembrar para revivir la tierra donde vivo.

World-Community-Film-Fest-Haida-Gwaii-On-the-Edge-of-the-World

Haida Gwaii, at the Edge of the World fue dirigido por Charles Wilkinson, obtuvo los premios a mejor documental en los prestigiosos festivales de cine de Toronto, Vancouver y Nueva York. Wilkinson, invitado por Dafne, luego de un proyecto que hicieron juntos sobre la nación Haida, accedió a volver a las míticas y remotas islas al noroeste de Canadá para contar cómo la nación indígena de las islas y la población anglosajona e inmigrante, han logrado salvar la naturaleza, cultura, ecosistemas, vida social y cultural de este paraje, casi edénico.

Las islas Haida Gwaii, antes denominadas por el colonialismo inglés: Charlotte Islands, son cuna y casa de una de las civilizaciones indígenas más desarrolladas al norte de México; la Haida. Desde tiempos inmemoriales esto nativos han sabido emplear los árboles gigantes; cedros, tuyas, piceas para construir sus casas, canoas, cestas, ropa, sombreros, redes, etc. Los árboles no solo son parte de uno o varios ecosistemas, “son una función de vida, hasta nuestros días −me explicó Dafne en casa de la Mrs. Stein de la comunidad mexicana de Montreal; Cristina Boilés−, en donde cada partícula de los habitantes y de sus hogares depende y está formado en relación con los árboles.” Casas y tótems, artesanías, cajas y demás manufacturas, de uso diario, despertaron el interés de los primeros colonos y por ello; “una parte fundamental de la cultura Haida y de su sobrevivencia −me afirmó Dafne, mientras hacía su maleta, con miras a tomar el avión, in extremis, rumbo a Estambul−, es el uso y trabajo sobre madera.” Los símbolos, los tótems se vuelven no solo una identidad y modo de vivir, religión de una cultura de ocho mil años, sino un modo de vivir y de ser vistos y reconocidos en el mundo por la calidad y belleza de sus obras de arte. Las cuales se hayan en tantos museos en el mundo. “De ahí que los árboles, fuente de vida ecológica y humana, se vuelven a la vez un medio de defensa cultural y social, “pues su fama –dijo Dafne, sentada entre pinturas y vasijas mexicanas puestas en todos los muros de la sala− ha logrado que muchos países deseen proteger este patrimonio de la humanidad.” De hecho, si hacemos un vínculo antropológico con el arte Haida y su función escatológica, las casas de madera en donde antes vivían representaban seres sobrenaturales o animales, que protegían a quienes durmieran dentro del hogar. La madera se vuelve un alma protectora, tal y como la madera tallada de obras de arte se ha vuelto una protectora de su cultura y contra la depredación.

swing_on_the_edge_of_the_world

“Los Haida han logrado sobrevivir –me explicó la mexicana-canadiense, quien ha hecho varios proyectos antropológicos sobre iconografía y simbolismo en la zona y ahora realiza una muestra fotográfica de tótems en Berlín−, porque su arte y alto grado de desarrollo les ayudaron a no desparecer con la colonización inglesa y sus leyes racistas, como lo fueron las leyes que les prohibían el uso de su lengua y religión, o la creación de escuelas residenciales donde los quisieron asimilar a la cultura occidental. De hecho, los europeos mismos que se asentaron en la isla, desde el siglo XIX, se unieron a los nativos para preservar la isla, su naturaleza y riqueza.” Cierto es, sin embargo, que desde el siglo XIX el imperio británico no vio en las islas otro interés que el de explotar los recursos naturales, y entre ellos, principalmente, los árboles gigantes y milenarios. Cientos de años de vida cayeron con cierras y cables, ochocientos años de un cedro o picea acabaron en astillas y bloques de madera para ser empleados en barcos, casas y muebles en Europa. El resultado de esta mutilación económica es que se cortó 70 % de los bosques de Haida Gwaii, lo que se convirtió en un abismo y destrucción ambiental, ecológica y social.

Sí, cortar tan gran cantidad de árboles equivale a cortar la vida de los Haida y su saber hacer y vivir. La mutilación de la tierra no solo la desnuda y priva del oxígeno, casa y techo a animales, el sustento de insectos, aves y mamíferos, 70% de talla es la mutilación de una cultura y de la esperanza de un planeta que todavía pueda salvarse de la mutilación de su existencia. He ahí que Dafne Romero me haya dicho que Haida Gwaii es una metáfora y ejemplo del mundo. Su caso no debe ser visto como único, sino que debe aplicarse a toda la tierra. Como lo que sucede con el río San Lorenzo y la descarga de excrementos, con la posible construcción de una estación petrolera en Cocouna; santuario de las ballenas beluga, o con el futuro paso de un oleoducto por ríos y bosques de la provincia de Quebec.

La estructura del documental da cuenta de la complejidad del fenómeno en Haida Gwaii, y por ende de la complejidad de las soluciones y conflictos que se crean en la protección o explotación de los recursos. De ahí que vemos cómo, a través de un recorrido en el tiempo, los indígenas Haida bloquearon carreteras en las islas, impidiendo que los camiones de las industrias madereras prosiguiesen su labor, visitaron la corte suprema, redactaron artículos, fueron a la ONU. Nada de lo cual hubiese tenido el mismo resultado, según lo que se muestra en la cinta y me explicó Dafne, sin la unión de la nación Haida con los “blancos.” Luego de lograr frenar el deterioro de los bosques, los Haida pudieron comprar la mayor parte de las islas y detener así la erosión total de los bosques. Además de que estos indígenas aplican ahora sus propias leyes y autoridad en casi todo el territorio, como resultado de una lucha legal con el gobierno de Canadá.

De la fuerza de voluntad, de la organización de todos los habitantes, sin importar origen racial o étnico, se propuso dar alternativas al desarrollo económico de las islas, pues no bastaba −muestra el corto−, con defender y bloquear carreteras. Se propuso hacer otro tipo de economía, como la compañía de Dafne, la cual confecciona comida con algas, entre ellas; “lasaña”, o que los colonos planten y vendan verduras orgánicas, o que el turismo, uno de los motores principales de la región, se haga con consciencia ecológica, en donde se invita y recibe a un turismo que respete tanto la fauna y la flora como el modo de vida y cultura de los habitantes.

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Todavía se cortan árboles en los sectores privados que ofrece el gobierno canadiense a las compañías forestales y en las mismas tierras Haida, a causa de la corrupción. “La corrupción –me previno Dafne, ahora ya preparando la cena para los miembros de la revista Viceversa a los que invitó, con esa gran generosidad y altruismo que le he conocido por años−, es un problema en la comunidad Haida. A pesar de todo el trabajo por frenar la deforestación, varios indígenas se dejan sobornar y venden cientos de hectáreas de árboles centenarios.” De este modo, la lucha no solo es contra las grandes empresas de fuera sino contra el alma misma de quienes viven adentro. “Pero, lo importante −me deja ver la mexicana-canadiense−, es que la tradición cultural y política Haida es la que rige las islas y con ello las leyes de protección ambiental y la necesidad de preservar los recursos por un bien colectivo es lo que prima en las decisiones y vida locales.”

De hecho, podemos observar en la cinta la influencia del arte y cultura Haida en la manera cómo se manejan las imágenes. Existe una poética intrínseca en las tomas. Dafne me dice al respecto que, precisamente uno de los objetivos del documental es hacerlo poético, artístico, como las obras de los Haida. En este sentido, At the Edge of the World cobra un sentido casi totémico en su representación misma. La poética de las imágenes es como la poética del arte indígena representado en sus cajas, cestas, mantas y canoas. Un ejemplo es la escena constante de una ballena, de su cola. Es como si esta ballena fuera la que acompañase la barca del director o equipo de producción y sobre todo que protegiese Haida Gwaii, tal y como tiene por función el animal representado en las imágenes totémicas o los animales pintados o esculpidos en las canoas. Otro ejemplo es la superposición de imágenes de árboles, vistos desde cerca, como protectores o cuya importancia se realiza dentro de un ecosistema. Función diversa a la imagen de la mecánica o de reproducción de objetos en serie, como son los muebles, casas o papel publicitario, fruto de la deforestación desmedida. De esta forma, en la cinta, las imágenes de los árboles se vuelven simbólicas y útiles, pero no útiles en el sentido de la reproducción mecánica de un objeto o de un producto en serie, sino necesarios como seres vivos y actuantes con nosotros. Como lo afirma el filósofo alemán Walter Benjamin en su texto; “La obra de arte en la época de su reproducción técnica”; la poética de la cinta refleja “un aura.” El aura para Benjamin es la autenticidad del objetivo simbólico y cultural de la obra de arte o el espacio natural, y a lo cual tenemos un acceso directo. Esto es; el documental no solo es un espacio cinético de información, hecho a través de la tecnología que toma y saca a la naturaleza, animales o sus habitantes de un espacio auténtico para luego reproducirlo en serie a la mayor cantidad de personas posibles, solo con fines comerciales, o para despojar al árbol de su función original, sino que, por medio de símbolos en la cinta y de un arte fotográfico, vuelve al documentario un arte vivo y totémico.

A este respecto, recordemos que para los Haida la orca, el oso o cualquier otro animal esculpido en un tótem, como figura principal, así como los otros animales tallados en el árbol, cuentan la historia de un clan y pueden ser a la vez protectores del mismo o de un jefe. Las figuras pintadas en las casas son el animal que cuida a los que viven dentro y la madera misma es la piel del animal, los pilares son los huesos. La casa, las cajas y canoas tienen vida propia, dada por la obra de arte de los animales dibujados o esculpidos. De ahí que el documental se presente, entre otras cosas, como una escultura Haida, una obra de arte que va más allá de su función social o mediática de reproducción en serie, pues al retomar la escatología de esta nación se muestra como ánima que cuida, protege y guía a los personajes y personas entrevistadas y a todos los actos y sitios que vemos. Se respetó así la tradición y creencias Haida y con ello se dio un valor mismo simbólico poético al documental. Como me dijo Dafne: “todo lo que se filmó, dijo y preparó tuvo que ser aceptado y comentado por el jefe de la nación y en acuerdo respetuoso de su nación.”

Cuando acabamos de ver el documental, nos parece que Haida Gwaii es el Edén tan anhelado y que, tal vez, sea uno de los últimos recónditos de la tierra en este estado natural, en equilibrio ecológico y con un modo de vida sustentable, “sin embargo −nos previene Dafne−, el documental no lo hicimos para mostrar a la gente que esto es el paraíso o para que todos se vengan acá –rio−, sino para que todos hagan algo similar desde donde viven. Cada uno puede hacerlo.”

 

ROMAN FEUILLETON (ch.2) : “RAIN BIRD”

Pour des raisons techniques, j’arrête  aujourd’hui la publication  de ce roman feuilleton sur les pages de ViceVersa. J’invite tous ceux qui veulent  suivre sa publication quotidienne  à se brancher  sur ma page personnelle  de facebook et sur  Fulvio-caccia.com. Bonne lecture.

Fulvio Caccia

2. La visite inopinée du commissaire divisionnaire lui avait scié les jambes. Lui qui s’était fait une joie de rénover la maison pour commencer sa nouvelle vie, regardait maintenant d’un air désolé l’état de son chantier. Les piles de lattes de bois flottant, les feuilles de placo dans la cuisine, le ravalement de la façade externe… les escaliers à terminer. Il se demandait comment il allait finir avant la rentrée. David lui avait bien promis à son retour de lui donner un “coup de main”. Mais pouvait-il vraiment compter sur son fils qui, de surcroît, était à 4 000 km ? Et voilà que ce roman oublié lui rebondissait à la figure par le moins prévisible de ses lecteurs : un policier !

Fox s’écrasa sur le canapé, fixant un point indéfini devant lui. Il resta ainsi un bon moment puis lentement regarda ses mains tachées de peinture : elles tremblaient. Etait-il déjà en train de se comporter comme le coupable idéal ? Il comprit qu’il devait agir.

Sur son bureau trônait l’ordinateur. Il se leva, arracha la housse qui le recouvrait et l’alluma. Ses doigts gourds pianotèrent fébrilement toutes les combinaisons en anglais et en français des mots suivants : fait divers, Septième Ciel, Venice, Californie, drogue. Sur l’écran apparurent une vingtaine de références qui ne lui apprirent rien d’autre que ce que disait la coupure de journal laissée par le commissaire. En Californie, un SDF, sous l’emprise de cette drogue synthétisée depuis quelques années déjà, aurait “dévoré” le visage d’un malheureux congénère au point de le rendre méconnaissable. Fox resta dubitatif sur l’utilisation du terme «dévoration» par les journalistes mais s’inquiéta des propos des autorités qui redoutaient qu’une recrudescence de violence sauvage ne déferle à son tour sur l’Europe.

Quant au meurtre survenu il y a cinq ans, c’était toujours la même brève qu’il avait consultée alors. Un homme de vingt-sept ans avait été trouvé dans une mare de sang, vers 4h30 du matin, mortellement blessé au niveau du cou. L’article se terminait ainsi : ” la brigade criminelle a été chargée de l’enquête”.

ROMAN-FEUILLETON : RAIN BIRD I (Fulvio Caccia)

Chers tous,

Bonne année et tante belle cose ( beaucoup de belles choses!)

le début d’année est un excellent moment pour prendre de bonnes résolutions et offrir des cadeaux. J’ai décidé de vous en offrir un en revisitant un genre passé de mode mais qui peut retrouver des vertus inespérées grâce aux réseaux sociaux : le roman feuilleton. Certes, un réseau social ou un site web n’est pas le lieu idéal pour lire de la fiction – on préfère les chats et les images- mais qui sait ? 

  La proposition est la suivante . Aujourd’hui 4 janvier, je vais publier chaque jour pendant trente-trois jours les trente-trois chapitres d’un  roman inédit qui s’intitule ” Rain Bird”. A Vous de me faire des commentaires et d’ajouter, si ça vous chante, des extensions.

A vos marques…

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Fuir

longer les ruelles, les rues, les boulevards, les pas-de-porte…

Fuir sans répit

C’est mon destin

Fuir

Le ciel au bout de la rue ouvre

sa bouche pour m’avaler.

Je déteste le ciel et ses souterrains

Rester à la surface. M’échapper. Ne pas se faire piéger

Je cours vite, c’est ma chance

J’aurais dû me méfier d’elle

Ne pas rester ici

Avancer toujours

Ne jamais se retourner
Derrière, il y a le passé

Il y a le Jeu et ceux qui ont perdu

Moi, je n’ai pas perdu !

Je vais gagner

Ma vengeance sera cruelle

Je coincerai ceux qui m’ont piégé

Je tendrai un guet-apens encore plus improbable

Je commencerai par la première avec ses faux

airs de Lolita

La fuite, voilà le but, ma seule hygiène de vie maintenant

Chacun pour soi. Run for your life.

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1.

“Mais puisque je vous dis que je n’en sais rien !”

Dans son bleu de travail, Nathanaël Fox peinait à contenir son agacement. Debout devant lui, le commissaire Marleau, la moustache broussailleuse, brandissait un livre à couverture noire et jaune dont plusieurs pages étaient cornées.

  • C’est quand même vous qui avez écrit ça.

  • Oui, mais ce n’est pas moi qui ai tué ce pauvre malheureux !

Nathanaël détourna le regard. Ses lèvres frémissaient de rage. C’était une belle journée de juin. Le commissaire avait fait irruption juste après la pose des tuyaux de la cuisine. Son coup de téléphone de la veille l’avait intrigué. “C’est par rapport à votre roman”, avait-il dit de sa voix enrouée de fumeur de Gitanes. D’abord il avait été intrigué puis ravi que quelqu’un comme lui s’intéresse à son histoire tant d’années après.

Maintenant, sa masse imposante s’érigeait dans la pièce comme la statue du commandeur. Fox remarqua la poussière qui dansait dans les rais de lumière et pensa qu’il devait épousseter sa bibliothèque. A quand remontait son dernier ménage ? Cinq ans peut-être, soit à l’époque où il avait publié ce satané livre.

    • Il n’y a rien à comprendre, ajouta-t-il.

    • Pourquoi ? répliqua le policier.

Il avait croisé les bras. Ses yeux globuleux le fixaient. Il y eut un long silence. Nathanaël essayait de rassembler ses idées. Il savait que tout ce qu’il dirait pouvait se retourner contre lui.

    • Je comprends que cela peut vous paraître bizarre. Mais je ne peux vous fournir aucune explication rationnelle. C’est une simple coïncidence.

Marleau s’était déplacé de côté et le scrutait maintenant avec la curiosité de celui qui observe une mouche se débattre dans une toile d’araignée.

    • Où étiez-vous dans la nuit du 6 au 7 août 2008 ?

    • Je vous l’ai dit ! J’étais en I-ta-lie avec ma femme.

Sa colère gonflait les veines de ses tempes.

    • Quelqu’un vous a prévenu ?

    • C’est une voisine qui s’occupait d’arroser nos plantes durant notre absence.

    • Henriette Bourgeoys?

Fox le regarda, surpris.

    • Oui.

    • Elle vous a téléphoné le jour même?

    • Oui, acquiesça-t-il. Sur mon portable. Son appartement surplombe le parc.

    • Et les circonstances de ce meurtre ne vous ont pas étonné ?

Nathanaël fronça les sourcils.

          • Ce n’était pas un meurtre. Les autorités, alors, ont parlé d’un suicide.

    • Comment le savez-vous ?

    • On me l’a dit. Je ne m’en souviens plus… dit-il, excédé.

    • Vous ne vous souvenez plus ?

Si Fox avait eu des kalachnikovs à la place des yeux, la carcasse du commissaire serait devenue une passoire. Tout en lui le dégoûtait : ses mains grasses, son regard vitreux, sa toux de fumeur, ses dents jaunis par la nicotine, ses ongles rongés jusqu’au sang, son sans-gêne…

Maintenant Marleau s’était assis d’autorité dans son fauteuil de cuir noir et le défiait. Il avait croisé les doigts sur son ventre qui formait une boursouflure sous son veston mal boutonné. Il regarda autour de lui, fouilla sur la petite table basse où Nathanaël avait laissé ses cartes de visite; il en prit une, la lut et grimaça.

        • Il est où votre instrument de torture ?

    • Vous êtes assis dessus! rétorqua Fox.

Marleau faillit bondir du fauteuil comme s’il était assis sur un volcan, mais se ressaisit.

          • Vous n’avez pas répondu à ma dernière question.

    • Dois-je ?

Le commissaire hocha la tête. Fox reprit son souffle.

    • J’y vois deux raisons, finit par répondre Fox. La première, c’est qu’il était de notoriété publique que, la nuit venue, des jeunes faisaient le mur qui alors n’était pas très haut dans ce parc.

    • Et la seconde ? rebondit Marleau.

Sa voix s’était faite suave, exactement comme la veille au téléphone.

    • Eh bien, comment vous dire ? Cela tient à la narration même du roman.

Voyant le regard perplexe du policier, il se concentra.

    • Lorsque vous écrivez une histoire et à fortiori un roman noir, l’éventail des thèmes dont vous disposez est finalement assez réduit : une vingtaine tout au plus. La trahison, l’amour, la mort… De sorte que les possibilités de raconter une histoire s’étant réellement produite augmentent de manière directement proportionnelle.

    • Vous êtes en train de me dire que ce que vous racontez dans votre roman est le fruit du hasard.

    • Non. Je suis en train de vous dire que ce que vous prenez pour de la réalité, et donc comme une vérité, est un effet du romanesque.

Marleau fit la moue et Fox se crut obligé de préciser.

    • Exactement comme les romans qui anticipaient les événements du 11 septembre 2001 avant qu’ils se produisent.

Le policier sembla ne pas prêter attention à ce propos. Les mains dans le dos, il fit quelques pas dans le bureau. C’était la pièce la plus présentable de la maison. Dans les travaux de rénovation, Fox avait tenu à privilégier sa nouvelle profession : il avait commencé à aménager une entrée séparée pour recevoir ses patients.

    • Cela n’explique pas tout, rebondit Marleau.

    • C’est juste, mais permettez-moi de vous faire remarquer que l’histoire que j’ai imaginée ne se déroule pas dans ce parc où les mamans viennent faire jouer leurs bambins mais dans la partie est de la ville ; dans un terrain vague tout près du périph.

    • Je sais ; chez les tagueurs, les petites frappes et les dealers.

Un sourire désabusé apparut sur les lèvres inexistantes de Marleau. Il était sans doute le seul officier de police à avoir lu son roman. De ce fait, il rejoignait la petite cohorte d’initiés qui avaient succombé au “charme vénéneux de ce roman étrange, romanesque et si personnel”, dixit l’unique critique parue dans le Courrier picard.

Fox remarqua ses poches sous les yeux et sa barbe de trois jours. Pourquoi avait-il exhumé cette affaire classée ? Agissait-il de sa propre initiative ou sous les ordres de sa hiérarchie ?

Le malaise de Nathanaël devant le policier ne résultait pas seulement de l’interrogatoire. Ce Marleau était le portrait craché mais en négatif de l’inspecteur rondouillard et débonnaire qu’il avait croqué dans son roman : son interlocuteur ne pouvait pas l’avoir remarqué.

    • Évidemment, je ne crois pas deux secondes à la thèse du suicide. Et vous ?

Fox hocha la tête en essayant de masquer son trouble. Il haussa les épaules.

– Je ne me prononce pas.

– Vous devez avoir votre petite idée, non ?

– Personne n’y a cru vraiment.

Fox se mordit aussitôt les lèvres. Le policier fixait le sol. Un sourire de complicité s’esquissa pour disparaître aussitôt. Il avança vers la grande fenêtre où il pouvait regarder le jardin. Le potager, coincé dans le côté, progressait à qui mieux mieux.

    • Dites donc, il faudrait vous occuper de votre carré de légumes.

    • Je suis pour les légumes libres ! affirma Fox d’un ton las.

Marleau le regarda, perplexe.

    • Que faites-vous pousser ?

    • … des fines herbes, surtout du basilic.

    • Je vois, vous avez bien une trentaine de plants. Pourquoi autant ?

    • C’est la seule espèce qui pousse dans ce jardin. Comme vous pouvez le constater, je n’ai pas le temps de m’en occuper.

    • Et après que faites-vous ?

    • Je le récolte, j’en fais du pistou et je régale mes amis. Si je ne suis pas en prison, je vous en ferai goûter !

Marleau ne répondit pas. Son visage s’était refermé. Il semblait à nouveau absorbé par ses pensées. Il marcha jusqu’au fond du bureau, les mains dans le dos, et se retourna.

    • À vrai dire, je me fous de savoir si c’est un meurtre ou un suicide. Ce dont je ne me fous pas en revanche, c’est ça !

Le commissaire avait jeté sur la table l’édition de Direct matin de l’avant-veille. Il titrait sur une “importante saisie du Septième Ciel”, la nouvelle drogue cannibale. Fox blêmit.

    • Ça aussi c’était dans votre “roman”, monsieur FOX, lui dit-il en insistant sur son nom. C’est ainsi que vous vous appelez maintenant, n’est-ce pas ?!

Nathanaël plissa des yeux. Le salaud avait déjà fait sa petite enquête sur son compte.

    • J’ai changé de nom lorsque je me suis fait naturaliser. J’ai le droit, dit-il avec fermeté.

    • Vous avez tout à fait le droit, monsieur… FOX.

Puis Marleau le toisa.

    • Vous êtes un curieux personnage, monsieur FOX. De deux choses l’une, ou bien vous êtes un fin renard qui cache ses activités sous une identité de façade ou bien vous êtes un menteur, pire un taré, voire un psychopathe qui s’amuse à décrire ses méfaits avant de les commettre.

Il balança sa carte de visite sur la table basse.

    • Au cas où la mémoire vous reviendrait.

Fox encaissa le coup. Au seuil de la porte, le commissaire se retourna.

– Au fait, prévenez-moi lorsque vous utiliserez mon nom et ma trombine dans votre prochain roman, ça pourrait me vexer.

Il l’entendit descendre l’escalier d’un pas lourd, puis la porte claqua.